J’ignore si c’est moi, le changement de température ou l’engouement tout récent pour la disco norvégienne, toujours est-il qu’en ce moment, j’entends le son nébuleux des lasers, vaisseaux spatiaux et soucoupes volantes partout. D’ailleurs, je n’arrive pas à envisager le dernier Dj Kicks des minimalistes Booka Shade autrement que comme un statement de leur personnalité musicale sous forme de voyage interstellaire – avec ces insertions bienvenues de scores de John Carpenter comme pour faire croire à un space opera vintage, avec une vraie progression écrite, une dynamique, une atmosphère, plein de bizarreries sci-fi et tout ça (cf. ces Arrival at the library et The Bank robbery extraits des New York 1997 et Los Angeles 2013). Et, pour peu que vous pardonniez le montage débutant – et les quelques peluches et assiettes en papier qui leur servent d’effet spéciaux- on tient là au moins un bon Plan 9 from outerspace. Jugez plutôt.

A different kind of blue introduit à un ciel autrement plus noir. Comme toujours à l’ouverture d’un soap, une voix de robot glaçante annonce la pauvreté de la condition humaine, perdue dans le silence éternel de ces espaces infinis (« so small down there / from here so high / we drift / we fly »). Puis, la gravité des violons de Nôze fait démarrer le vaisseau, lequel se laisse emporter par une guitare surf. Ben Westbeech pose son chant soul tout en douceur sur une ligne de synthé nébuleuse, et s’efface derrière le groove profond du Estoril de Booka Shade. Leurs sueurs disco et percus désossées claquent froid et fort sur du métal, j’imagine une pluie de météores pénétrer l’aile droite de la navette et les sirènes du classique Situation de Yazoo hurler de part et d’autre. Court virage acid (2 fast 4 U, Lopazz), et direction la station la plus proche.

L’équipage s’absente au-dehors pour contempler les étoiles. Mais il fait froid, on entend au loin les bleeps de vaisseaux en marche arrière et les synthétiseurs dérangés de Carpenter résonner par-delà le nocturne Far away de Mlle Caro & Frank Garcia. C’est très beau, même si le temps d’attente est long et qu’on ne tient pas trop à rester contraint à l’arrêt comme ça. Le temps se couvre, des bruits industriels partout sur le Roberto Balsam d’Aphex Twin – ça ressemble un peu à la musique d’ascenseur du futur, une variation mécanique et tubulaire d’une lounge de salon. Et puis, les réacteurs qu’on pensait en bout de course commencent à s’affoler, beaucoup de syncopes dans les oreilles, et le vaisseau reprend marche. La mécanique ronfle légèrement -un peu vieilli ce Geisha boys and temple girls – mais l’ajout des minikicks, clicks & cut de Booka Shade rend le voyage assez souple. Ensuite, j’aime bien la petite histoire d’amour spatiale de Brigitte Bardot, avec les cratères sous la poitrine – d’habitude c’est chiant dans un film, mais là ça va, peut-être parce que ça finit mal (déchirant It’s too late de The Streets) ou peut-être plus simplement parce que Brigitte est bonne avec ce nouveau lifting.

La fin, Booka Shade ne risque plus grand chose à la dérouler comme Star Wars : ascèse sauvage dans un naturel herbacé façon Retour du Jedi (Virtual nature, Emir Ad Fontes), héroïque Landcruising de Carl Craig, explosion dans le vide spatial (Don & Sherri, Matthew Dear), et quelques accords de piano fondus dans le lointain espace (Last orders, Richard Hawley). Mais bon je dis ça, je regrette pas le ticket.