« Grand Hôtel et des Palmes », Palerme, Sicile : construit en 1856 et transformé en hôtel en 1874, cet établissement de luxe situé au cœur du Palerme historique a vu défiler quelques grandes figures des arts et des lettres au long de son existence. C’est là qu’a choisi de se replier le baron Castelvetrano, le héros de Palermo Solo : une sorte d’aristocrate déchu issu d’une autre époque, qui s’est installé à l’hôtel sans bagages voici des décennies et y est resté plusieurs années sans sortir de sa chambre, au prétexte que ses ennemis le guettent au dehors. A Palerme, il est devenu une sorte de légende ; les journalistes défilent à la réception pour recueillir des informations sur lui et tenter de le rencontrer, mais les consignes sont strictes : on leur répond invariablement qu’il n’y a personne de ce nom-là à l’hôtel. Seuls quelques rares employés ont le droit de pénétrer dans sa chambre, la 204, en ayant pris soin de frapper trois coups auparavant. « Le baron est né à l’aube du XXe siècle, écrit Philippe Fusaro. Le baron n’a rien vu, ni rien su de ce qu’était le XXe siècle dans sa seconde moitié. Le baron a dû quitter sa ville natale parce que la mafia l’a condamné à ne plus y retourner, sauf le 2 novembre, jour de la Fête des morts. Le baron est un homme d’honneur, il paie sa dette de sang, il paie d’avoir battu à mort un garçon issu d’une famille d’un autre clan. Le baron vit depuis plus de cinquante ans dans une suite du Grand Hôtel et des Palmes à Palerme, via Roma, à deux pas du port, à deux pas de la mer ».

En alternant narration à la troisième personne et extraits du carnet intime du Baron, Philippe Fusaro compose un court roman d’une grande délicatesse, très inactuel dans son ton, son atmosphère et ses références (c’est un compliment), presque cinématographique par moments, tout embrumé d’une sorte de mystère que sa brièveté, son style sobre et ses ellipses densifient jusqu’à lui conférer une dimension magique. On regrette, parfois, quelques maladresses d’écriture, des naïvetés, des approximations qui auraient mérité d’être éliminées (« Juste le mot whisky était compréhensible », écrit Fusaro : n’aurait-il pas plutôt dû écrire « Seul le mot whisky » ?) ; on aurait aimé plus de préciosité dans la langue, peut-être, autant qu’il y en a dans l’attitude du baron. Ce Palermo solo n’en reste pas moins un très beau roman, hanté par les souvenirs des grandeurs du siècle dernier et par quelques silhouettes qui ont traversé le hall du Grand Hôtel (Burt Lancaster, Michel Leiris, le juge Falcone), habité par un personnage romanesque tout à fait splendide ; un roman sur l’honneur et le temps, la réclusion et la solitude, le rêve et l’amour. A lire en costume froissé, avec un orchestre de jazz west coast en fond sonore, dans le fauteuil club qui fait son âge d’un hall d’hôtel lambrissé. Un verre d’alcool est possible.