Si Downtwon 81, le film, est la déambulation de Jean-Michel Basquiat dans le downtown New York de l’hiver 1980-1981, Downtown 81, la bande originale, a su retranscrire les impressions du flâneur, les sollicitations sonores musicales qui l’entourent et le convoquent à l’expression de ses sentiments. Par son aspect décousu et exhaustif, cette compilation des meilleurs moments de la scène alternative new-yorkaise des 80’s restitue les changements que la ville peut opérer sur la perception du marcheur, comme l’instantané de musiques et d’ambiances saisies au vol, avant leur disparition de la mémoire culturelle.
En effet, les artistes ici présentés ont pour la plupart disparu de la création musicale d’aujourd’hui (qui se souvient de Gray, de The Plastics ?). D’autres resteront dans nos mémoires comme les losers magnifiques qui n’auront pas su s’arrêter à temps (voir la production FM tardive de Kid Creole and The Coconuts). Certains sont cultes, dans le cercle des initiés (Tuxedomoon, Lydia Lunch, James White, The Loung Lizards). Resteront quand même de cette première scène « New-wave » du début des années 80 les éternels Suicide, le fantasque Arto Lindsay de DNA et les éphémères mais populaires Blondie.

Pour la plupart captés live, en extérieur, à l’aide d’un studio mobile, les titres présentés sur cette compilation ont un côté datés, middle of the road, représentatif de cette période charnière, cet entre-deux que furent les années 80, coincées entre l’énergie punk et le début de la musique synthétique. La New-wave pas encore gothique (cet aspect viendra plutôt d’Angleterre, sous l’effet de la récession économique) et pas encore électronique, usera de boîtes à rythmes cheap (Tuxedomoon, Suicide) et de choeurs Slits (les Coconuts, bien plus foutraques que l’image lisse qu’a longtemps véhiculé le groupe), faisant le grand écart entre rock et mambo, punk et electro, tradition et innovation.
L’énergie particulière de New York City (cette constante impression d’être sous cocaïne) est ici traduite par le choix de morceaux dynamiques et arty, bourrés d’idées et de pêche. L’urbanité, la rapidité des flux et des échanges, une certaine violence latente, l’impression d’être constamment entouré par la ville, sont autant de sensations retranscrites par la frénésie des rythmes (Contort yourself de James Chance, Cavern de Liquid Liquid) et la froide acuité des sons (Cheree de Suicide, Desire de Tuxedomoon), sans oublier l’aspect punk-jazz expérimental de DNA ou des Lounge Lizards de John Lurie, évoquant le chaos urbain en impros free et déstructurées.

Au final, l’écoute de cette B.O. atteint son but de retranscription sonore d’un univers visuel éclaté, violent, et passager Elle nous embarque dans la ville comme le film embarque Basquiat le long des rues graffées, dans une saturation de signes et d’impressions. De plus, aujourd’hui, elle peut réhabiliter une scène presque oubliée, qui sera pourtant influente sur toute la suite des années 80 jusqu’à aujourd’hui.