Troisième opus du « duo versaillais » et retour à de plus modestes ambitions, après un 10 000 hz legend glorieux mais un poil raté, ou raté d’un poil. Le dernier bastion d’une french-touch un peu déplumée, Air, revient à la simplicité période Virgin suicides, guitares acoustiques arpégées, nappes qui planent et mélodies-ritournelles mémorables. Une régression pop de bonne augure en un sens. Reste de la mythologie du producteur timbré dans son studio un morceau de bravoure, ce Run en hommage au mille-feuille de voix éthérées I’m not in love, de Ten CC. Sinon, Air navigue en terrain reconnu : boucles de pianos, synthés et boîtes rétrofuturistes, anachronismes de production, mariage de froideur synthétique et de chaleur mélodique, en 10 titres sans surprises, mais sans mauvaises surprises non plus. On retiendra surtout de Talkie-walkie la récurrence de thématiques qui s’accordent étrangement et familièrement à la musique : le voyage, le déplacement, le mouvement. Tous les albums sont conceptuels (même si c’est parfois à l’auditeur de retrouver le concept), et ce lui-ci n’échappe pas à la règle : commençant par les mots « You could be from Venus, I could be from Mars », ce discobole électronique reprend les voyages dans l’espace et le temps là où Daft Punk les a interrompus. En plein vol. Rien que les titres Run (courir) Universal traveler (voyageur universel) Surfing on a rocket (surfer sur une roquette, je traduis pour ceux qui ne lisent pas…), illustrent bien l’obsession du disque de proposer là une musique qui soit d’abord de mouvement. Ou qui soit elle-même mouvement (comme on parle des mouvements d’une symphonie…). Car si on est mu, remué par la musique, c’est dans une acception qui induit aussi une certaine immobilité. Les trips de Air n’ont jamais été aussi lents, vaporeux, introspectifs, apaisés. Des voyages immobiles. Une musique destinée au cocooning, au nesting, dans un intérieur immaculé…

Voyages sans rencontres possibles, ou alors dans le creux d’un murmure, la suspension d’un instant, c’est aussi la morale de l’histoire Lost in translation, le beau film de Sofia Coppola, où Air donne de sa personne (Alone in Kyoto, présent sur les deux disques) au milieu d’un parterre planant de très belles musiques. Le rendu un brin « hype » de la B.O., tendance cahier style de Libé, s’accorde très bien à la profusion de signes que le couple Murray-Johansson subit dans le film : Bill Murray se réveillant au son de Death In Vegas dans un Tokyo de néons hypnotiques et c’est comme si on assistait à la rencontre du super-flux monétaire de l’Amérique de Las Vegas avec le super-flux informationnel de la métropole japonaise. La saturation de messages visuels s’accompagne d’une omniprésence musicale et sonore qui rend le message amoureux inaudible autant qu’il est invisible (noyé dans la foule), mais aimable et nécessaire comme tel. Le reste de la B.O. est iconique : accumulant les références de bon goût indé, sortant de sa longue torpeur Kevin Shields, le leader du groupe noise culte My Bloody Valentine, pour quatre titres somptueux, un peu comme le film sort Bill Murray du placard Ghostbusters pour en faire l’icône de l’indé américain post-Un Jour sans fin. La séquence de branchitude tokyoïte se passe sur les mélodies pop efficaces de Phoenix ou Happy End (Kaze Wo Atsumete, très belle chanson de fin de soirée). La profusion de signes visuels renvoie au psychédélisme musical, mêlant confusion et mélancolie : Death In Vegas, Sébastien Tellier, The Jesus and Mary Chain. La tonalité d’ensemble est de toute façon mélancolique, mais dans une douceur, une torpeur, qui évoque autant les joues roses de la poupée maternelle Scarlett que son apathie tranquille et fusionnelle avec le cours du monde comme il va. Cette belle collection de chanson conçoit la musique populaire comme facteur d’émotions simples et épiphaniques. Elle est respectueuse d’une valeur qui dépasse leur simple caractère d’objets de consommation. L’écoute de ce disque est une sorte de gué, de passerelle, vers une remémoration très agréable du film. Ce qui est le but de toute bonne B.O. Bravo.