Nancy Meyers a le pouvoir. Après le triomphe commercial de Ce que veulent les femmes, où Mel Gibson lisait dans les pensées de ses copines, la cinéaste a les studios à ses pieds. Et un style bien à elle, fait d’hommages superficiels à Hawks et Minnelli, de sophistication Art et Décoration et de propagande grossière pour la haute bourgeoisie féminine. Ces quinquas aux pattes d’oie resplendissantes et bourrées de fric, genre main de fer dans gant de velours, qui se gonflent de fierté en lâchant des vannes bien senties pour taquiner les hommes gentiment mais fermement. Pas si loin de Meyers elle-même, petite scénariste du bon goût (Baby boom et le Père de la mariée, c’était déjà elle), femme mûre qui confesse écrire sur ce qu’elle est et sur ceux qu’elle aime.

Tout peut arriver advient donc comme le film de la consécration. Un film d’auteur, surtout. Enfin épanouie et libre, Meyers n’a peur de rien et pousse toutes les manettes à fond. Un peu comme Erica Barry (Diane Keaton), auteur de vaudevilles sophistiqués à succès (dans la tradition), mère d’une belle jeune fille fraîche (dans la tradition) et divorcée depuis un bail. Mais voici que débarque dans son somptueux pied-à-terre de la cote Est, ce grand séducteur d’Harry Sanborn (Nicholson), flirt actuel de sa belle jeune fille. Un vrai chenapan, ce Harry, toujours prêt à draguer tout ce qui bouge et décadent comme il faut. Un peu trop à vrai dire, Monsieur tirant trop sur les nymphettes et le cigare, mais une bonne petite leçon de savoir-vivre lui apprendra à aimer celles de son âge et d’enfiler sans grommeler ses charentaises grand luxe de vieux poussin.

Absolument tout afflige ici. Ce postulat, évidemment écoeurant. Et puis les gargarismes permanents sur les vieilles ficelles d’antan, le moralisme susurré tout du long, cette complaisance suintante pour un art de vivre bon chic bon genre (maison de vacance, voyages romantiques, épicerie fine ou le dernier modèle Machintosh) qui exclue d’un naturel doucereusement dédaigneux la moindre poussière de marginalité (le soupirant Keanu Reeves, consommé comme une simple friandise). Mais le plus révulsant reste sans nul doute Jack Nicholson. Voir la star incandescente du sarcasme anarchique renoncer aux paradis du Nouvel Hollywood engendre une nausée latente qui va crescendo. Meyers le filme en rédemptrice matrone, comme pour le persuader de rejoindre enfin le firmament des vieux rupins conservateurs. Qu’il est loin alors le temps des fertiles et sulfureuses années 70, résumées ici en une poignée de clichés dans un album photo. Nicholson aura beau s’y accrocher pendant tout le film, Nancy Meyers s’impose au finish. Sur l’Easy rider qu’on croyait éternel bien sûr, mais aussi comme la réalisatrice la plus ouvertement réactionnaire de ces dernières années.