Pour leur deuxième album, le duo versaillais Air, ici agrémenté de collaborateurs prestigieux (Beck, Jason Falkner, Buffalo Daughter), vise ni plus ni moins l’accès à la définitive starification, la mythification absolue, la transformation du duo versaillais en « légende » internationale et intersidérale. Grosse tête et ego-trip gonflent la baudruche 10 000 Hz legend pour en révéler au final le vide interne : dans le bibendum, il n’y a que de l’air. Pourtant Jean Benoît Dunckel et Nicolas Godin ne lésinent pas sur les effets de manche pyrotechnologiques : envolées de cordes, basses énormes, beats puissants, le long d’un album décousu, dont la tonalité doit plus à la mélancolie de la B.O. de Virgin suicides qu’à la pop-corn de Moon safari. Album aux prétentions auteuristes disproportionnées avec le réel talent des deux musiciens, 10 000 Hz legend emprunte à White Noise la déconstruction surréaliste, à Ultravox la lourdeur synthétique, à Pink Floyd (mais plus période The Wall malheureusement) l’emphase psychédélique. L’art de la tautologie a fait des émules : après Music de Madonna, One more time de Daft Punk, Air parle de Air et de sa musique, mettant en abîme sa production, par auto-citations et auto-définitions (« We are electronic performers »), par questions directes à l’auditeur (« How does it make you feel ? »), par auto-proclamations du caractère tubesque de sa création (« If you need some fun / Some good stereo gum / Radio #1 »). 10 000 Hz legend ressemble ainsi à un album rhétorique où l’art de convaincre s’apparente à l’art d’en faire des tonnes dans la débauche sonore, l’autosatisfaction et la complaisance, dans une circularité narcissique presque malade, qui ne laisse jamais à l’auditeur le temps ou l’énergie de prendre ses distances avec le monstre Air.

L’album commence par Electronic performers, un lourd balancement electro-stéréo au piano lyrique et à la voix vocodérisée (« We are electronics performers / We are electronics »), faisant signe vers le devenir cybernétique mis en exergue par la dernière apparence médias des Daft Punk. Electro-prog, mégalo-robot, censé sans doute faire lever les bras aux foules dans les stades, comme un jeu spectaculaire avec l’emphase fasciste, Electronic performers joue sur la fascination de la manipulation de masse : « We search new programs for your pleasure / I want to patch my soul on you brain / BPM controls your heartbeats / We are the synchronizers. » Le morceau se termine sur une poussée de violons. How does it make you feel est plus proche de la B.O. de Virgin suicides : un vocoder murmure des mots d’amour à l’oreille d’une jeune fille, sur une ligne de basse très Melody et des accords de guitare folk très campus américain, avant les chœurs éthérés Mama’s And Papa’s demandant quatre fois « How does it make you feel ? ». La question semble suffire à elle-même et ne pas demander de réponse. Radio #1, premier single, continue dans la même voie : « Let’s have an extended play together », grosse caisse Buggles, rythme laborieux, hymne au tube autoproclamé. Ou l’art de convaincre. Sur la fin, une voix surmixée chante par dessus le refrain, comme quelqu’un sous sa douche, qui s’y croit et qui s’y voit. L’adhésion à la star se joue ici, sur l’identification et le devenir-star sous-tendus et surjoués par le quidam.

Le reste de l’album se décline entre beckeries période Mutations (The Vagabond), dafteries down-tempo (People in the city rappelle ainsi Better faster stronger dans l’agencement des parties vocales), trépidations discothiques (Don’t be light et son falsetto à la Patrick Juvet) fugaces réminiscences de Perrey, Morricone (Wonder milky bitch) et Gainsbourg, pères spirituels de la première heure, avant cette émancipation artiste et mégalo. Le caractère ambitieux de ce deuxième album semble vouloir tenir à l’étrangeté recherchée des structures, des arrangements et des détails, supposés prendre l’auditeur à contre-pied, mais générant plus d’agacement que de curiosité, le duo versaillais se posant naïvement en artistes maudits signant un suicide commercial qu’on ne tardera pas à ériger en chef-d’œuvre incompris.

Un bon point cependant pour le duo : leur indéniable talent d’arrangeurs, entre harpes et flûtes éthérées sur Radian, rappelant le meilleur de leurs premières productions instrumentales et décoratives, arpèges de guitares hippy mêlées aux nappes de synthés sur Lucky and unhappy, structures alambiquées sur Sex born poison. Ce morceau est d’ailleurs un sommet de noirceur oppressante et d’étrangeté psychédélique, avec ses lyrics mélangés d’anglais et de japonais (Buffalo Daughter), ses influx de cordes amples comme un ballet spatial kubrickien, avant un final de bleeps electro barrés du plus bel effet. « Meet my desire sensors / My atom juice of joy / You want to fuse my affective circuits / Run to the fire exit / Use your cooling system / You’ll never reach the 7th sky today. » Le psychédélisme technologique trouve ici une concrétisation qui met la barre bien haut.

Au final, 10 000 Hz legend déploie cependant beaucoup de moyens pour ne rien affirmer, rien d’autre que sa monstrueuse présence, obscène et maladive. On peut s’inquiéter par contraste de la pauvreté de discours des artistes français internationalement connus, quand on a pu par le passé s’enorgueillir de créateurs qui savaient marier la forme et le fond, la chèvre et la (tête de) choux. A quand la « new french touch » ?