Certains récits n’entrent pas facilement dans une catégorie littéraire précise. C’est le cas de Ma mère et le ciel, très vite, que l’on pourrait comparer à un diptyque à la fois d’inspiration sacrée, mais dont la technique d’exécution se rapprocherait du pointillisme, et à une grande toile de Léger, comme La mariée en bleu, tant ce qui est exprimé et décrit évoque au lecteur toutes sortes d’impressions et d’images changeantes et diffuses. Ce récit, cette prose, ce long poème, font défiler des souvenirs, une absence toujours aussi vivace, une enfance envolée, volée, et le regret de n’avoir pu profiter pleinement d’un amour maternel contenu, à une période où la priorité n’était pas à l’insouciance.
« La mort de ma mère / a une vie vivace » scande Yvonne Baby. Le choix des mots ne doit rien au hasard. Il est la parfaite illustration d’une grande sincérité, on pourrait même dire d’une honnêteté farouche. Elle se souvient de sa mère, ou plutôt elle cherche au plus profond d’elle-même à retrouver le regard qu’enfant, elle portait sur sa mère, à retrouver la sensation de chaleur. Elle cherche également à nous restituer des bribes de sa mémoire.
Le résultat est saisissant. L’auteur, sous nos yeux, déroule lentement, cliniquement, ses souvenirs intacts, et par conséquent, fragmentés et parcellaires. Yvonne Baby raconte sa mère. La révolution russe vécue côté Pologne, l’atrocité des camps de concentration, la résistance… Cette traversée, ponctuée d’espoirs et de désespoirs, glisse progressivement de la prose à la poésie. L’auteur choisit de partager son récit en deux parties ; l’une est introduite par une phrase de Joseph Brodsky -« Tout a une limite, entre autres, le chagrin »- et l’autre de Eliot -« C’est la force de l’expérience, qui pousse la prose à la poésie »-, mais les deux racontent toujours et inlassablement, témoignent et rendent hommage à Ruta la « mère insoumise ».