Deux nouveaux titres de Yôko Ogawa, un roman et deux nouvelles : ses thèmes de prédilection sont au rendez-vous -la mort, la disparition et toujours ces atmosphères étranges qui imprègnent de bout en bout ses récits. Les trois histoires sont malgré tout très différentes. Le Musée du silence propose un univers semi-fantastique et rappelle souvent le court récit de L’Annulaire ; Une Parfaite chambre de malade privilégie la brièveté, avec succès, pour deux nouvelles presque parfaitement réalistes dans lesquels on suit des personnages au cœur de leur intimité. Ogawa raconte toujours de la même façon, comme pour des expériences biologiques qui réclameraient qu’on dissèque chacun au scalpel ; rien n’est tout blanc ni tout noir et l’ambivalence règne. Une fois terminés, il reste de ses récits une impression de malaise très particulière, comme si personne n’était vraiment innocent.

Dans Le Musée du silence, un jeune homme nous entraîne dans un étrange musée. Dans un village de bout du monde, au confins de marais obscurs habités par des moines à jamais silencieux et des bisons des roches blanches, loin de tout univers familier, il s’enferme dans un immense manoir (sommes nous au Japon ou ailleurs ?) habité par une vieille femme, sa fille adoptive et un couple de serviteurs. Son travail : exposer des objets dérobés au fil des ans aux morts du village et supposés les incarner. Le temps s’écoule lentement, le jeune homme perd peu à peu tout contact avec sa vie d’avant, s’implique de plus en plus dans son travail, devient collecteur d’objets. Dans le même temps, une série de crimes, accidents, attentats dans le village est prétexte à une pseudo-enquête policière, trop artificielle et surfaite pour être convaincante. Dommage. La seule création du Musée du silence, « lieu de repos d’un monde ancien », agrémentée de quelques très beaux passages autour des moines silencieux, aurait sans doute suffit.

Pour contrebalancer ces longueurs, on lira les deux nouvelles du recueil Une Parfaite chambre de malade. Les thèmes en sont les mêmes, avec la mort et le silence aux premières loges. Dans le récit éponyme, une femme assiste à la longue agonie de son frère dans une chambre d’hôpital. Elle développe alors une réflexion sur sa vie, l’absence qu’elle a cultivé malgré elle jusque dans son couple et la douleur de la perte, laquelle ne s’estompera que dans l’étreinte échangée avec le médecin de son frère, dernier moment de calme et de sécurité pour tenter de « faire exploser la tumeur de larmes cristallisée » au fond d’elle. Puis, dans La Désagrégation du papillon, l’héroïne accompagne sa grand-mère devenue sénile dans un hospice. Une fois la vieille femme enfermée, elle rentre chez elle et se découvre enceinte. Elle se met alors à voir là une forme horrible de tumeur grossissant en son sein, alors même qu’elle remet en cause son appréciation de la normalité, à l’aune de la dégénérescence connue par sa grand-mère. Qu’elle décrive des mondes intimistes ou fantastiques, Yôko Ogawa distille le même poison, le même parfum de mal-être, la même fascination morbide liée au fétichisme et à la disparition des êtres et des choses. Une façon bien à elle d’observer ce qui l’entoure, un jeu auquel on se prend peu à peu. Presque un art.