Alfredo Byce-Echenique, dans son Guide triste de Paris, pose un regard amusé et mélancolique sur la vie de bohème dans le Paris des années 1970. Chaque nouvelle de ce recueil, né de chroniques journalistiques, se construit autour d’immigrés péruviens (du secrétaire d’ambassade à l’artiste maudit) qui entretiennent un rapport décalé avec cette ville de promesses et d’échecs. On y retrouve les clichés de la vie de bohème : les chambres de bonne, les soirées arrosées, le donjuanisme, les illusions perdues… Mais loin du pittoresque, le récit ricoche et dérive vers le saugrenu, le fantastique, puisqu’il s’agit pour l’auteur de laisser l’imagination « entrer et circuler librement où ça lui chante » : « Personne ne saurait que cet homme bon comme le pain était très myope et que, à cause de la faim d’hidalgo dont il souffrait, il s’était plusieurs fois fracturé une côte simplement en heurtant un poteau électrique ou un des petits arbres qui ornent le boulevard ». Représentants attachants et dérisoires du « Made in Pérou, tout à fait années 60, c’est-à-dire quasiment XIXe siècle », les Péruviens deviennent le symbole d’une étrangeté kitsch et bon enfant qui se heurte à la dureté de la vie parisienne : « il défiait comme jamais l’asphalte peuplé de femelles avec sa démarche de torero-gros-bras dans un bordel bon marché ou de sbire de dictature banana republic en vacances, en route vers le Panthéon, sans qu’une seule fille daigne jeter ne fût-ce qu’un bref regard à ce grand macho du XIXe siècle ».

Privilégiant la « fiction gratuite », l’écriture de Byce-Echenique, faite de redondances et d’ellipses, donne tout son relief à ces anti-héros, « chevaliers errants » oscillant entre le manque et l’excès, la quête initiatique et la divagation. Au risque de dessiner, pour ces personnages à la fois désinvoltes et obsédés par la réussite, des parcours narratifs trop souples, filandreux et un peu vains. Ces histoires de bric et de broc forment en effet un ensemble hétéroclite, qui ne trouve son unité que dans le thème du rêve déçu. Paris est le lieu où les espoirs échouent (tout à la fois convergent et se détruisent), suite à une continuelle divergence entre la théorie et sa concrétisation : « L’organisation pratique de la passion est le plus souvent un attentat contre la passion elle-même ». Les odieuses concierges parisiennes sont remplacées par de ravissantes jeunes filles le jour même où l’on fait ses bagages, et les assassinats politiques sont des fiascos faute de budget suffisant. Ces décalages répétés créent une atmosphère particulière, mélancolique et grotesque, qui laisse le sens en suspens, puisque tout devient mobile et fuyant, jusqu’à l’inconsistance : « Les larmes devenaient le seul vêtement dont aurait à tout jamais besoin notre relation, et, pourquoi pas, également sa seule armure ». L’auteur semble manier avec élégance un éventail andalou : après l’épanouissement cocasse de la fiction, il rabat brusquement cet imaginaire en liberté vers un constat plus pessimiste, comme en témoignent les deux fins offertes dans Portrait d’écrivain avec un chat noir. Le lecteur peut se perdre dans cet étrange guide qui enlise ses personnages dans un décor de carton-pâte et de fictions boiteuses ; mais l’écriture, souple et musicale, douce-amère plutôt que triste, est une véritable invitation à l’errance de l’imaginaire et au ludisme des chimères.