Herman Düne, meilleur groupe français anglophone. On devrait créer cette Victoire de la musique rien que pour eux, tant ils sont victorieux dans cet exercice, leur passion. En témoignent deux nouveaux grands albums du trio (David HD, André HD, Néman), loin de l’étiquetage réducteur d’usage (folk, antifolk, lo-fi, hi-lo-fi folk ?), mais traversant les frontières musicales et géographiques, côtoyant le Velvet (début et fin) autant que les Stones, la Soul des origines ou le rock d’aujourd’hui (Will Oldham ou David Berman ne sont pas loin) pour une musique de pur devenir, un work in progress, magnifique chantier permanent. D’où ce premier titre Mas cambios (sur le label anglais Track & Field) : terme utilisé comme signalétique dans le métro new-yorkais sur ses tronçons en travaux, quand les Düne sont allés y enregistrer leur album, avec quelques uns de leurs amis de la scène locale. La notion d’amitié est essentielle à l’identité des Düne, et poursuit une certaine tradition de la pop, et du « tour », de la tournée, de la rencontre… Celle avec les frères Callaci, du groupe Refrigerator et du label Shrimper, aura permis la sortie d’un second album, Mash voncrete metal mushroom, sur le mythique label lo-fi américain (le premier à avoir sorti les disques de Sebadoh ou les cassettes de Daniel Johnston), enregistré à Paris-Mains d’Oeuvres. Deux très beaux albums. Inspection des travaux finis.

Mas cambios est un disque traversé par la dialectique haine / amour, un album d’amoureux en rupture, David opérant dans la peine et le regret, André proposant l’explication de texte et l’ouverture. Toutes les chansons de David semble ici évoquer une seule histoire d’amour déceptive et inspirante. Elles s’adressent toutes à un « tu » évocateur, et oscillent entre reproche et nostalgie. Elles sont concrétes, évoquent le quotidien subjectif (le remords : « If I could go back / Then I would trade / Every stupid thing I said ») et objectif (New-York : « Climbing up bedford was such a piece of cake today »). Si le propos est souvent amer, l’interprétation témoigne d’une distante lucidité : David essaie de tourner les choses d’une manière créative, faisant de sa tristesse le moteur d’une action positive, en invitant l’amicale chorale antifolk « The Flower Choir Ensemble » à chanter en choeur sur les refrains par exemple, ou très simplement, en inventant des mélodies d’une rare beauté. Les compositions d’André, quant à elles, atteignent désormais l’ampleur et la puissance de certaines chansons de Leonard Cohen, puisant à la même inspiration : une mystique simple du quotidien, une morale aigue de l’intime, avec l’humilité distante des véritables aristocrates (ceux de la pensée). Red blue eyes est une sorte de chanson à fragments auto-apologétique, posant le personnage, un peu à la manière des rappers new-yorkais ou d’une vieille tradition troubadouresque (maintenue de la vieille Europe jusqu’à Bob Dylan), avec un brin de mythologie (« Night falls on Hoboken / It’ll fall again / Truer word was never spoken ») ; My friends kill my folks est une très belle et triste chanson identitaire, sur des accords stoniens ; de In August (qui sonne comme un très bon titre de Belle And Sebastian), on retiendra quelques sentences visionnaires : « Everybody dies in august : When no ones cries ». Les trois derniers morceaux d’André sur cet album comptent parmi les plus beaux de l’histoire du rock tout simplement : On a sunny sunny cold cold day, dont le titre pourrait résumer le disque, sur des accords parfaitement stoniens, délivre en chorale un refrain entêtant, qui tire sa force autant de sa formulation en allitérations et répétitions de vocables que des multiples sens qu’on pourra lui prêter ; Winners lose est une chanson de rupture en même temps qu’un enseignement d’une rare sagesse sur la meilleur façon de conduire sa vie, en trois préceptes et trois voix (dont voici le premier : « Between love and friends / My choice is made, no offence / If you want me to be your man / Be a friend, if you can ») ; enfin, So not what I wanted est l’apothéose d’un disque magnifiquement triste, chanté avec l’intense Diane Cluck : comme un tour de magie ni noire ni blanche, avec une guitare électrique qu’on n’aura jamais entendu aussi lointaine et proche à la fois, sinon peut-être dans une église particulièrement réverbérante, avec une sorte de désespoir qui permet tous les espoirs, et une conscience particulière du temps sous toutes ses formes, qui semble arrêter le temps. Jusqu’à la fin de la chanson, jusqu’à la fin de l’album.

Pour faire court (on a déjà pris beaucoup de place pour cette chronique), l’album sur Shrimper est au moins aussi beau que celui-ci, avec des différences de son et une tonalité générale plus joyeuse (la Monkey song, très drôle, chantée en chorale, est un vrai tube en même temps qu’une belle démonstration de la puissance d’un refrain), mais également moins inattendue, pour ceux qui suivent un peu le travail de ces garçons. On évoquera quand même l’incroyable chanson n°8, enregistrée par André au minidisc, en duo avec Julie Doiron, sur des très beaux arrangements percussifs minimalistes (ajoutés à ceux-ci, le bruit de quelqu’un en train de faire la vaisselle, une mobylette qui passe dans la cour…), une merveille d’équilibre et de song-writing. Au final surtout, à l’écoute de ces deux albums, on retiendra que Herman Düne a su diversifier son écriture et ses influences et que le trio se dirige vers une réelle et prometteuse universalité musicale, dont la meilleure représentation, vers laquelle ils tendent de plus en plus, est : la Soul-Music. La musique de l’âme. Rien de moins.