Woody Allen renoue avec l’écriture le temps de dix-huit nouvelles, souvent des historiettes croquées en quelques lignes qui, d’un oeil habile et moqueur, dissèquent les travers de notre société. En réinvestissant sous un mode bien particulier un univers qui nous est totalement familier, elles transforment notre quotidien, l’éclairent sous un jour impitoyable et cynique. Sa lecture du monde n’est pas sans intérêt, qui pousse certains de nos supposés progrès vers l’absurde, anticipe sur ce que pourrait être notre univers si on n’y prenait garde, tourne en dérisions nos moindres défauts. Woody Allen traverse notre société en piquant au passage ce qui nourrit son imaginaire anxieux, pessimiste, un rien méchant. Il aime les échecs humains, les ambitions avortées, les retournements de situations aux moments les plus incongrus, il s’amuse, fige ses personnages dans des positions intenables. Au passage, il n’oublie pas, bien sûr, d’aller jeter un oeil du côté du milieu du cinéma, qu’il attaque sans pitié. L’époque est à la fin de règne, la décadence guette, le moindre faux pas peut s’avérer fatal. A l’origine des situations mises en scène, des faits divers lus dans les journaux, parfois des histoires plus personnelles. Sous la satire pointe l’inquiétude : et si les énormités proposées devenaient un jour partie intégrale de notre quotidien ?

L’auteur est investi d’un rôle, taillé sur mesure : celui de tourner en dérisions nos petites existences, gonflées de notre propre importance. Certaines des situations proposées sont des modèles du genre : ainsi ce récit de costumes odorants sur mesures, ou celui-ci qui présente l’avenir de la réussite sociale à l’aune de l’entrée d’un enfant en maternelle. Quelques mots suffisent à ce que des situations ubuesques soient parfaitement saisies et illustrées. Dans le même temps, on retrouve ce qui peut énerver dans le cinéma de Woody Allen : certains textes sombrent dans la caricature outrée, s’embourbent. A vouloir trop en faire, la cible est parfois ratée, mais l’ensemble, bien qu’inégal, se lit sans déplaisir et fait souvent sourire, parfois même franchement rire. Allen écrit comme il filme, au risque d’agacer, de lasser, mais capable comme personne de faire vivre des scènes de vie criantes de réalité, malgré l’outrance. Quand les situations ne sont pas assez vivantes, elles perdent leur élan, tombent à plat ; mais, quelques pages plus loin, autre chose vient rattraper un lecteur facilement ravi. Allen invente, s’amuse, et crée un monde en décalage, dans lequel il ne ferait pas forcément bon s’égarer.