C’est arrivé près de chez vous, en vrai : parrain notoire de Manchester, Dominic Noonan, alias Lattlay Fottfoy (l’acronyme de Look After Those That Look AfterYyou, Fuck Off Those That Fuck Off You, devise paternelle), est l’objet du documentaire de Donald McIntyre. Lequel a suivi au plus près le bonhomme et sa bande de sales gosses, enfants du caniveau sapés en costards tarantinesques « pour faire bonne figure, surtout devant un jury ». Des pubs du coin aux salles d’audience, résidence secondaire du gangster, régulièrement acquitté pour rapts et tortures, mais finalement coincé pour port d’arme illégal, Noonan est invité à dévoiler sa monstruosité tout en lâchant quelques bribes d’humanité – loi classique du genre.

Noonan donc, masse de 39 ans (22 en cabane), hooligan déguisé en dictateur cool et paternaliste du quartier. Pas un gramme de prestance chez lui, plus proche d’un caporalisme poelvoordien que d’une rage classieuse à la De Niro. Seul signe ostentatoire d’autoritarisme : rabrouer un quidam (qu’on ne voit pas) au carrefour d’un faubourg mancunien, comedia del arte minable, limite parodique, qu’on imagine entièrement provoquée par la présence de la caméra. Laquelle tente de combler ce déficit glamour via toutes les figures imposées de l’ogre à deux doigts du réveil (la séquence du coiffeur qui lui rase la caboche au Gilette trois lames) et plus largement d’une frime qui pollue nombre de néo-polars anglais.

Paradoxalement, cet échec rend le personnage d’autant plus fascinant. Toujours hors champs, floutés par un discours stylisé par le bas, ses actes se nimbent d’un réalisme poisseux, un peu pathétique, plus salace que terrifiant. Le récit de Noonan, c’est une voix simple, une présence ronde, un oeil vaguement malicieux dont on ne lit de perversité que par la violence du propos et le décor qui l’enserre : cloaque en briques rouges, prolos endettés, chiards en pagailles grouillant partout. Un documentaire en cache un autre : au mode d’emploi du parfait saligaud, le film dessine l’analyse de Noonan par Noonan, bouillie d’humanité dont on ne tire qu’au hasard des confidences quelques éclairs tristes de lucidité, sinon une vision du monde frustre, incroyablement mesquine et infantile. Point d’orgue : l’ironique profession de foi de son frangin, tueur à gage bouffé par le crack (et zigouillé par une bande rivale), à côté duquel il pouffe comme un vilain garnement.

McIntyre ne peut qu’acquiescer, à juste titre. Noonan n’a rien d’un archange du mal, il n’est au fond qu’un banal descendant de la truande, à jamais confiné dans la misère, façonné par une violence familiale qui le dépasse, scotché géographiquement à ses rades. Plus Tobe Hooper que Marty Scorsese. Les nombreuses visites qu’il donne à ses « protégés » (des Mancuniens au bout du rouleau) révèlent la distance ténue qui le sépare de ses congénères. On pense surtout à l’homme qui a foiré un braquage sans revolver. Son double négatif en bonne et due forme : amateur, humble et acculé, mais, comme Noonan, victime intégrante d’un prolétariat livré à la dégénérescence. La voilà, l’humanité de Dominic Noonan : plus que la terreur à proprement parler, c’est son creuset qui refoule. En technicolor.