Après Mauvaises nouvelles et Très mauvaises nouvelles, troisième recueil des nouvelles publiées par William Trevor 1967 et 1990 : dans ce domaine, la renommée du « plus grand auteur de nouvelles de langue anglaise », comme le dit un journal new-yorkais, n’est plus à faire, même si les français connaissent plutôt ses romans (En lisant Tourgueniev, Lucy ou Ma maison en Ombrie, entre autres). Il n’est en effet que d’en lire une pour comprendre ce qui fait de lui un maître du genre : ses quelques pages développent une intrigue parfaitement aboutie, et distillent des ambiances uniques, doublées d’une critique acerbe ou d’une dénonciation impitoyable. Trevor raconte ses pairs sans fards, dans leur quotidien, en soulignant leurs travers, leurs langueurs, leurs fautes, leurs désespoirs. Derrière une écriture d’un classicisme exemplaire, les désillusions s’accumulent et le découragement gagne. Rares sont les moments d’espoir ; ils n’en sont que plus lumineux. Le recueil s’ouvre dans un pensionnat anglais, avec sa façade d’austérité et ses bouleversements adolescents, et se termine dans une grande maison d’une petite ville irlandaise, sur les traces de « la dernière bonne de la ville à porter un uniforme ». Entre les deux textes, un curieux tableau : au gré des mots, voilà des villes anglaises, leurs banlieues bourgeoises, « Volvo et Vauxhall, allées pavées, jardins sans clôtures, rues en forme de croissant, avenues et arbres immatures, jeux auxquels se livrent les habitants du lieux » pour occuper les soirées interminables, « quand les couples commencent à montrer les signes d’un flétrissement à quoi le gin tonic ne peut plus remédier ». Et toujours, bien sûr, l’Irlande, celle des paysans et des bonnes en tablier comme celle des presbytères discrets noyés sous le lierre et la vigne vierge, des villes perdues, des mariages ratés, des conflits latents et des vieilles filles tristes.

Thème commun : la rupture, parfois d’une mélancolie douce amère, autour du temps qui se brise et des jours d’autrefois définitivement perdus. Des mondes s’ouvrent et s’écroulent, on passe du rêve au tragique, les personnages s’effritent, rongés par des chagrins lancinants, des histoires impossibles à effacer, une lassitude extrême. Derrière l’apparente douceur s’élève la critique violente d’un monde en miettes que personne ne peut reconstruire et d’un univers hanté par le passé. Regrets, traumatismes, légendes, violences irlandaises, existences brisées et illusions effondrées défilent ; les sentiments parfaitement incarnés ne masquent ni les drames muets, ni un bonheur impossible. Souvent les mensonges prennent la place du réel, les élans de sincérité réprimés sont enfouis au plus profond. Au milieu, certaines pages s’ancrent dans un intemporel absolu, une atmosphère du souvenir, l’image fragile de jours immuables. Trevor va bien au-delà de la seule nostalgie. Il pénètre l’âme humaine au plus profond, scrute ses faiblesses, ses envies étouffées et ses fantasmes réprimés pour livrer une réalité inattendue, d’autant plus terrifiante qu’une fois révélée, on ne voit pas comment il serait possible de s’en éloigner. Ses textes mêlent des accents graves aux portraits d’un autre temps, des histoires de silences qui pourrissent les âmes, poussent vers l’erreur, contiennent une douleur sourde, à des vies nourries d’imaginaires, d’un passé illusoire. Comme à son habitude, il reflète notre image.