Will Self revendique la satire. Dans la lignée d’autres grands anglais, tels Swift, Huxley ou Orwell, il démonte les moeurs et les tics de ses contemporains, avec une férocité qui, quoi qu’il en dise, a fait sa réputation. « On m’a beaucoup reproché mon soi-disant cynisme envers mes personnages », avertit l’auteur-chimpanzé en préface. « Nombre de critiques m’ont sauté sur le poil en criant que je traitais mes personnages avec un mépris diabolique, que je les accablais d’infortune et les noircissais à plaisir. Dans Les Grands singes, j’ai paré d’avance (…) à ces objections idiotes, qui ne peuvent s’expliquer que par une incompréhension chronique de la signification et du propos de la satire : j’ai fait de mon personnage un humain ! »
Par un tour de passe-passe un peu simpliste, les personnages du roman de Will Self sont donc des chimpanzés. A peu de choses près, la société « chimpaine » est organisée identiquement à la nôtre : même organisation politique, même système médiatique, mêmes connaissances scientifiques. Ce sont les rapports sociaux qui diffèrent : les signes remplacent la parole, le sexe et la force tiennent une place déterminante, et Londres, « peuplée de nabots affairés », est réduite aux deux tiers. Les humains, quant à eux, sont des animaux sauvages que l’on ne rencontre qu’au zoo. Et c’est dans ce monde-là, qu’après une nuit de débauche le peintre Simon Dykes se réveille, persuadé d’être un humain. Le grand singe Zack Busner, psychanalyste dont la renommée n’est plus à faire, va tenter de guérir Simon de son invraisemblable névrose.
Si les sarcasmes et les finesses des grands satiristes résultent à la fois d’un contexte historique (censure, guerre) mais aussi et surtout d’un besoin de dire, par-delà la satire, la vision d’une société qu’ils souhaiteraient meilleure, il n’y a semble-t-il rien de tel dans le livre de Will Self. L’abondance des détails scatologiques ne sauve pas une histoire pauvre, peu soignée et sans grande signification philosophique. On peut certes comprendre que Will Self s’en prenne à un microcosme essoufflé où critiques d’art, artistes et médecins, à la manière des singes, n’en peuvent plus de se renifler mutuellement le derrière. Mais en l’occurrence c’est par ceux qu’elle s’évertue à singer que la satire aurait sans doute été la mieux servie : par les humains eux-mêmes.