Viviane Forrester est journaliste au Monde. Parfois, ses articles deviennent des livres. Ses livres, bien sûr, n’ont pas plus de consistance qu’un article du Monde. Au moins en précisent-ils la vacuité. En exergue de celui-ci, Viviane Forrester cite une phrase de Viviane Forrester qui résume parfaitement le fond de sa « démarche » : « L’horreur qui me visait était européenne ». Viviane ne pense pas le monde, elle est « visée par l’horreur » ; elle ne raisonne pas, elle est submergée par des sentiments irrationnels dont la force horrifique, criminelle, satanique, oserait-elle dire si elle était chrétienne, est l’Europe. Ainsi Le Crime occidental n’est-il pas plus structuré, organisé que ne l’est sa pensée : il se résume à une longue logorrhée incantatoire abusant de questions rhétoriques et de points d’exclamation, inlassablement répétitive, se déployant à partir d’axiomes symboliques (les Lumières, la Démocratie, les Droits de l’Homme, la Révolution, etc.) qui ne sont jamais pensés, c’est-à-dire mis en perspective, puisqu’ils sont le credo révélé de la Pensée Unique dont elle est l’apôtre. Quelle est sa démonstration ? Les coupables du conflit israélo-palestinien ne sont ni les Juifs victimes de la Shoah, ni les Palestiniens victimes du colonialisme, mais l’Occident fasciste, raciste et xénophobe, sempiternel bourreau des peuples. Démonstration offrant parfois, par son lyrisme incontrôlé, quelques formulations cocasses (ainsi, parlant de l’affichage anti-juif : « Normal de revêtir les murs d’affiches les couvrant de boue »). Démonstration tellement idéologique, surtout, que tout y est confusion, amalgame, réduction. La loi de 1791 chérie par l’auteur, donnant un statut égal aux Juifs français, n’a pas empêché les révolutionnaires de voter le génocide vendéen et de massacrer prêtres et religieux au nom de la tolérance. Quant aux forces historiques qui luttèrent contre le « racisme naturel » des peuples, n’en déplaise à Viviane Forrester, il s’agit en Europe de l’impérialisme de la Rome antique et de sa politique supra-ethnique, puis du Christianisme et sa conception universaliste de l’homme, conception par ailleurs remise en cause par les « Lumières ».

Certaines données historiques, certaines accusations sont certes intéressantes ; mais l’usage qui en est fait est tellement orienté qu’on assiste surtout à une charge hirsute qui prend tout ce qu’elle peut à son compte. Le choix d’Israël, qui n’était pas définitif chez Theodor Herzl, le créateur du sionisme, est discuté par l’auteur dans son bien fondé. Le fait que le peuple Juif, soit constitutivement lié à sa religion et sa religion à cette terre semble pour elle un détail ; le fait qu’on crée une nation avec des symboles autant qu’avec un peuple et un territoire lui semble sans doute nébuleux. La conclusion, quant à elle, frôle le révisionnisme historique : l’Europe aurait déplacé sa dette au Proche-Orient, laissant les anciennes victimes se massacrer en jouant les sages médiateurs d’un conflit qu’elle aurait elle-même initié. Les médiations américaines ? « Des présidents américains, représentant des grandes puissances satisfaites de voir (…) leur passé mieux que blanchi ». On baigne dans l’amalgame. Tout cela est absurde d’un point de vue historique, mais on en comprend bien l’enjeu. La solution de Forrester ? Envoyer balader les médiateurs occidentaux qui sont les vrais criminels, et laisser Juifs et Palestiniens se dire franchement leurs problèmes autour d’une table (dans quelle langue ? M16 ou Kalach ?). La solution aux problèmes géostratégiques actuels, aux conflits religieux, aux noeuds complexes résultant d’histoires pluriséculaires ? La méthode Dolto. Bah, bien sûr. Fallait y penser.