Le talent est héréditaire, mais ça marche aussi quand on en n’a pas. Non contente d’avoir co-écrit le scénario du dernier film du pater avec son mari Dominique Sampiero (l’auteur le plus populaire parmi les enseignants du premier degré), la fille de Tatave se jette en solo dans une carrière d’écrivain en s’imaginant qu’on fait de bons livres avec un Guide du Routard et un manuel de français niveau CM1 pour uniques points de référence. Consciente qu’un peu de dépaysement aidera à faire passer le récit catastrophique qu’elle prépare, elle nous transporte dans l’archipel arctique canadien, où la neige et deux ou trois clichés climatiques donneront de puissants symboles pour les paragraphes métaphysiques. Le héros a accepté un poste de professeur (allons bon) sur la banquise et, en attendant l’ouverture de l’école, tue le temps avec ses amis Inuits ; bien sûr, il a un lourd passif à régler en famille, une récente rupture à méditer, il a parcouru la moitié de la planète mais sait encore s’émerveiller : un rôle en or pour Richard Bohringer.
Si Tiffany Tavernier n’écrivait pas comme une rédactrice du catalogue de la Camif, ça aurait pu n’être que nul. Gavé d’effets gratuits, de mots du cru (bien évidemment traduits en bas de page), de vulgarités pathétiques et d’échappées lyriques d’un ridicule sans nom, son style décourage la lecture mieux que tous les autres défauts de son roman. L’intérêt du couplet intime (papa, maman, mes frères, mes soeurs, mon neveu mongolien) ne dépasse pas celui d’un épisode des Feux du slip et le décor arctique inspirera peut-être les créatifs de chez Playmobil ; restent des pages passionnantes et interminables sur la vie quotidienne des autochtones (chasse à l’ours, au phoque, circulation en scoot des neiges) et de courageuses prises de position, politiquement très incorrectes (page 66 : « Je hais l’homme qui a versé un seau d’acide nitrique sur le dos de cette petite fille. ») Le tout s’enchaîne sans préméditation visible dans un brouillard pénible qui évoque plus une maîtrise très relative de la narration qu’une audacieuse liberté déconstructiviste, mais tout est affaire de point de vue. Entre le dépliant Nouvelles Frontières et le roman d’évasion pour prof de collège, ce texte indigent rassurera tous ceux qui craignaient pour la succession de la boutique Tatave. Avec « L’homme blanc », Tiffany prouve qu’elle a de qui tenir.