Ne boudons pas notre plaisir. Celui de la lecture de ce recueil de nouvelles fleurtant avec le surnaturel et où le diable apparaît derrière chaque porte, en embuscade, toujours prêt à s’immiscer dans la vie de sujets qui n’en demandaient pas tant : ici, grâce à l’auteur de ces pages de facture toutes classiques. Ce qui ne gâche rien, loin s’en faut. Car Sheridan Le Fanu, comme tout tempérament irlandais, ne put échapper à la question religieuse. Pour parler de Dieu, il mit en scène le diable. Ce dernier sème le trouble dans de paisibles familles, vole la vie d’âmes innocentes. Même s’il existe des rescapés après les turpitudes du Malin, personne n’est là pour entraver son chemin, son lent travail de sape. Un catholique s’y serait pris autrement, donnant de meilleures armes à ses personnages pour que l’affrontement ait lieu. Mais Le Fanu était protestant, plus modestement. L’argent est souvent la cause des maux à venir. Quant au diable, il se retire de ses écrits quand bon lui semble. Il ne faillit jamais à sa tâche. Les idées de la séduction et du double (dans la nouvelle éponyme, où un locataire diabolique neutralise un père de famille au scepticisme affligeant) présentent un plus grand intérêt. On y voit, par une lente progression de l’intrigue, par quels moyens le diable s’attache tout d’abord les faveurs du monde qui l’entoure avant de retourner les situations à son profit. Bref, comment son règne s’annonce. Cette douce terreur nous convient, dans la mesure où elle agit sur le lecteur même.