Sean O’Reilly n’en est pas à son coup d’essai, bien que La Ballade de Dublin soit en France le premier de ses romans traduit. Un roman fleuve, une ballade, comme le titre l’indique, entre différents lieux d’une ville qui appartient aussi bien au réel qu’à l’imaginaire de ceux qui la peuplent, errance dans un Dublin protéiforme, refuge et piège, symbole à la fois de nouveaux départs et d’emprisonnements définitifs. Avec pour résultat une impression mitigée, sensation de vie trépidante et, aussi, d’un indescriptible fouillis. Boyle, le héros loser, cherche sa voie, quelque chose qui pourrait lui rendre l’envie de vivre tout en lui permettant d’oublier le passé, ce qu’il a été : un homme de main de l’IRA, arrêté par malchance et condamné à huit longues années de prison. A peine sorti, il s’installe à Dublin et tente de réintégrer un monde qu’il ne comprend plus, spectateur impuissant, toujours un peu en marge, décalé. Pour commencer, malgré les difficultés prévisibles de sa nouvelle existence, Boyle s’inscrit comme étudiant en philo et fréquente plus ou moins régulièrement les bancs et bibliothèques de l’université. Pourtant, il vit à mille lieues des préoccupations du campus, qui lui semble une ville dans la ville avec ses codes, ses règles, ses habitudes. De là ses errances, généreusement arrosées, et des discours à n’en plus finir avec tous ceux qui croisent sa route : Victor, son voisin, grand russe silencieux et buveur de vodkas, ou bien le fou, justement surnommé Fada, qui déambule dans les rues et focalise l’attention des passants et des touristes à force de blagues graveleuses et de poèmes absurdes, prêt à tout pour être remarqué, personnage pathétique et fantoche. Sans oublier les femmes ; la noyée, suicidée aperçue sur un pont, Colombe, l’étudiante idéaliste et rêveuse, Eleanor, femme silencieuse croisée à un enterrement, âme perdue dans sa propre existence.

Le Dublin de Boyle n’a rien à voir avec celui des touristes américains ou espagnols qui le sillonnent, ni même avec celui de ses étudiants ou de ses marchands de babioles. Son Dublin est un lieu trouble, gangréné par les mafias, sans porte de sortie. L’humour que pratique O’Reilly, sombre, décalé, s’accorde parfaitement à la course poursuite dans les rues et les parcs d’une ville impersonnelle à laquelle on assiste tout au long du texte. Les références à Sartre rythment la relation du malaise d’une société dans laquelle Boyle ne peut se réinsérer, poursuivi par ses obsessions, ses angoisses, sa paranoïa grandissante. O’Reilly le dit lui-même : Boyle ici est un personnage qui essaie de comprendre la ville dans laquelle il arrive, de trouver une place pour vivre, s’oublier, se réinventer. C’est un échec : ce que son imaginaire est venu chercher n’est pas là. Dès les premières pages, le romancier instaure avec Boyle une distance infinie, multipliant des points de vue divergents, comme s’il tournait autour de sa figure centrale. Avec un problème, cependant : à trop s’éloigner de son personnage, il détache le lecteur du livre, échoue à créer une intimité avec son histoire. Rien ne se dégage donc de ce texte qui reste froid, concis, presque chirurgical. A trop vouloir faire vivre une émotion, l’histoire s’efface. Dommage : après lecture, il ne reste rien.