Enzo Cormann, fameux dramaturge mais aussi compositeur de jazz, acteur, metteur en scène et enseignant à l’ENSATT, donne avec Le Testament de Vénus son premier roman. Et il demeure, dans ce nouveau genre, proche d’un art de la voix : le livre est constitué du monologue autobiographique de « Vénus » (un des nombreux surnoms du « soussigné » Félix Fayard) rédigeant son testament sur trois cahiers sauvés de la poubelle. Avec une verve baroque, le narrateur fait se succéder les scènes, les époques, les personnages les plus hétérogènes et les plus surprenants, emportés dans une grande célérité que renforce la présentation du texte comme un bloc sans césure.Ainsi défilent, dans la logorrhée du narrateur, sa mère Lucie, fille de meunier, et son père « non connu », Driss Ben Shaab, ses leçons de « voyouterie » à Paris en compagnie de Laurel et Hardy, ses missions militaires mafieuses en Afrique, ses années de prison, ses réflexions sur l’Être en asile psychiatrique, sa rencontre avec le « Mouvementeur », un peintre étrange qui le pousse à suivre ses impulsions de gribouilleur, son retour au moulin du grand-père pour s’y faire un atelier, et son combat contre les « hydrorapaces » qui veulent noyer les lieux de son enfance en installant un barrage ; le tout est entrecoupé de quelques aventures amoureuses vouées à l’échec. Au fur et à mesure de ses expériences, le « soussigné » finira par assumer sa vocation d' »Artiste Général » reclus, considéré au mieux comme un ermite original, au pire comme un fou dangereux, surproducteur d’un art brut, écho direct de son existence sous forme de collages, poèmes pourris, sculptures, confections de bric et de broc. Une sorte de Sophie Calle du pauvre, en somme.

S’il y a quelque chose de célinien dans le projet d’Enzo Cormann (en termes de flux, de rythme, et par ce prisme de naïveté lucide) et si son style nerveux, agile, direct, un rien comique, est affûté par une expérience certaine, il n’empêche que tout cela ne suffit pas à animer comme il faudrait la surenchère hétéroclite à laquelle il se livre. Le roman ne tient pas la vitesse qu’il prétend atteindre et oscille sans cesse entre l’amusant et l’ennuyeux. Il en est de même pour la figure centrale de l’Artiste général, anti-héros absurde aux initiations interlopes : entre idiotie pure et art sauvage, officieux, qui pourrait trouver une justification, on ne parvient pas à une orientation réelle ou à une synthèse satisfaisante ; si bien qu’on assiste surtout à la geste stérile d’un art idiot qui, à vrai dire, est plus qu’officialisé de nos jours. La récurrence de la question de l’Être sous forme de réflexions oiseuses, simplistes ou embuées, ne trouve pas non plus de place idoine. Le bordel concocté, de joyeusement débridé qu’il se voudrait, se perd ainsi trop souvent dans les vapeurs verbeuses de théories bancales. Entre folie gratuite, illuminatrice, et méthode décalée conséquente, il aurait fallu faire un choix. Reste donc un exercice de voltige paré de nombreux charmes, mais foncièrement mal négocié.