La recherche de la vérité s’est trouvée dès les origines de notre civilisation marquée du sceau de l’ambivalence. La curiosité est tantôt représentée comme une noble aspiration et un gage de liberté pour l’humanité tantôt conçue comme un péché ou un vice. La science en tant que savoir objectif, désintéressé, s’est trouvée progressivement valorisée à proportion du déclin de la religion comme modèle d’explication du monde. Mais cela n’a pas toujours été le cas de ses applications techniques. Dès lors que la connaissance augmente notre puissance (savoir c’est pouvoir), le domaine théorique s’est vu imposer des contraires d’ordre éthique. Ainsi, pense-t-on aujourd’hui aux manipulations génétiques ou à l’énergie atomique autant en terme de progrès qu’en terme de menace. Ce paradoxe conduit Roger Shattuck à poser la question : « Y a-t-il des choses que nous ne devrions pas connaître ? » ou des expériences qui nous seraient interdites ?
Le problème n’est pas nouveau, mais Roger Shattuck parvient à lui donner une ampleur inédite : son étude dépassant le débat sur les sciences et l’éthique, et fourbissant un arsenal d’exemples judicieux tirés du patrimoine mythique et littéraire occidental, embrasse une grande variété de domaines, allant de la psychologie amoureuse à l’esthétique, de l’épistémologie à la réflexion juridique. Son propos d’une parfaite limpidité est cependant teinté d’un puritanisme caractéristique de la Nouvelle-Angleterre (où il enseigne) qui le conduit à envisager le recours à un usage modéré de la censure visant à éviter les dangers induits par notre curiosité. Même si nous nous séparons ici de son auteur, Le fruit défendu de la connaissance constitue néanmoins une lecture intellectuellement stimulante, suscitant de saines polémiques autour des libertés de l’artiste et du scientifique dans une société démocratique.