Une histoire d’ados et d’armes à feu : voilà pour l’arrière plan du premier roman de Phil Lamarche. Ces drames de société renvoient immanquablement aux tueries lycéennes, faits divers quasi banalisés dont la littérature US s’est emparée ces dernières années, livrant au passage quelques excellents romans. Mais on est loin ici d’un énième Columbine. Tout commence par un accident : Ted LeClare, 14 ans, passe l’après-midi avec ses voisins. Les garçons s’ennuient, surtout le plus jeune. Poussé par l’aîné, Teddy sort de sa cachette le 22 long rifle de son père, histoire de prouver qu’il y a des choses excitantes dans sa maison, qu’il peut rivaliser avec la piscine de ses amis. Il manie l’arme avec précaution mais commet une erreur fatale : il charge le fusil avant de sortir quelques instants. Quand il revient, un des deux frères est mort. En oubliant des règles qu’il connaissait pourtant, Teddy a failli. Non coupable, il n’en est pas moins responsable. Et sa mère le sait bien, qui lui interdit de raconter aux policiers arrivés sur les lieux qu’il a chargé lui-même le fusil. En gardant le silence, mère et fils signent un pacte. Jouer avec le feu raconte ce qui se passe quand il est déjà trop tard, quand on ne peut plus revenir en arrière.

Le roman de Lamarche ne s’arrête pas là. Le titre anglais, American youth, est sans doute plus fidèle à l’esprit du livre : dans cette petite ville qui sombre lentement, où le chômage grandit, c’est d’une jeunesse américaine qu’il est question. Une jeunesse gangrénée par un arrière plan social difficile. La ville subit des transformations ; alors que les emplois disparaissent, elle se transforme en banlieue pour classes aisées à la recherche d’un « cadre de vie », loin des centres urbains. Pour ceux qui ont toujours vécu là, le sentiment que cette mutation sociale se fait à leurs dépends est fort. Nombreux sont ceux qui ont le sentiment de subir une invasion, en voyant faire irruption dans leur existence ces nouveaux habitants qui ne partagent pas leurs valeurs, leurs traditions, et les chassent vers un ailleurs flou, indéterminé. Face à cette peur du monde, à ce sentiment d’inadaptation, les adultes sombrent dans une déprime généralisée tandis que les adolescents, persuadés avec ce qu’ils vivent en famille de n’avoir guère d’avenir, se replient sur eux même. Emergent alors ces « Jeunesses Américaines », groupuscule d’extrême droite qui manie ses pseudo idéaux sans recul ni réflexion, poussé par ce mouvement de repli sur soi, sur sa communauté, typique d’une situation de crise, quand le rêve américain semble une illusion.

« La majorité de la communauté adorait les Jeunesses américaines. A l’école, ils agissaient comme les forces secrètes d’un groupe d’auto défense. Ils chassaient les revendeurs de drogue et dénonçaient les supporters qui se saoulaient avant les rencontres sportives. Ils allaient à l’église. Ils organisaient des manifestations contre tout ce qui leur semblait bon, sain et vrai ». Le soir, des jeunes en t-shirt blanc, bretelles noires et pantalons trop courts vont donc arracher des boîtes aux lettres, briser des jardinières, tabasser des dealers. L’arrière-fond moralisateur et puritain est omniprésent : interdiction de boire, de baiser, de se droguer. Il faut avant tout rester un « pur », un américain sans tache, prêt à tout, notamment, pour défendre le Second amendement. Ce qui explique qu’ils enrôlent un Teddy LeClare en perte de repères, qui adhère au groupe sans réfléchir. L’appartenance crée la sécurité. Jusqu’à ce que la rationalité reprenne le pas sur le reste. Accepter de grandir passe par le fait d’assumer ses actes. Ce que souhaite la mère de Teddy, en réécrivant les faits, est impossible à tenir, parce que Ted, « le gamin » dans le texte, ne peut pas oublier.

Jouer avec le feu n’est donc pas seulement un roman sur les armes à feu, qui relancerait un débat sans fin. C’est aussi et surtout un roman sur l’adolescence, la fin de l’innocence, la nécessité de faire des choix. A ce titre, on regrette plusieurs choses. Le manque de surprise, surtout, l’étonnante prévisibilité de certains dialogues, une absence d’originalité. Elle ne vient pas du sujet traité mais de la façon de le faire : Lamarche ne creuse pas assez ses personnages, il compile des faits. Il passe à côté de son sujet : les rapports de Ted à sa mère, le jeu de la vérité et du mensonge, les liens familiaux. C’est pourtant ce qui aurait permis au texte de devenir un vrai « roman de société ». L’ensemble reste agréable à lire, mais ce qu’on en retient, c’est le début, ces premiers chapitres où se noue l’intrigue, plus psychologique que factuelle. La fin, qui revient pourtant sur la mémoire, le passé, l’impossibilité d’effacer les choses, est moins marquante.