Après le sommet History of violence, avant une paire de projets ambitieux, David Cronenberg vient se reposer du côté de la série B avec un nouveau film de commande. Les Promesses de l’ombre est le premier film tourné par le Canadien hors de ses bases : il s’est rendu à Londres filmer sur les lieux mêmes où elle se déroule cette histoire écrite par le Britannique Steve Knight. N’allez pas conclure (de ce repos, de ce voyage) que le cinéaste est en vacances. History of violence, après tout, était lui aussi une commande. Et d’ailleurs les deux films ont bien des choses en commun. Un acteur, d’abord, Viggo Mortensen, plus émacié, plus musculeux encore que dans son rôle de papa revolver, et dont le maintien de bodyguard lui donne un air de Mitchum version glaçon. Cette nouvelle collaboration avec Cronenberg montre que le cinéaste le considère comme un champ d’expérimentation, de la même manière qu’un scénario ou une nouvelle caméra.

Tatoué, corseté dans des costumes sombres, Mortensen est une sorte de machine d’action, et Cronenberg lui offre des dialogues en russe et une scène de bagarre d’anthologie (lui, nu, contre deux hommes de main dans des bains turcs) comme pour l’examiner sous toutes les coutures et sous les aspects de différents imaginaires, à la manière d’une poupée qu’on habille et déshabille. Tout le film, et toute la mise en scène, pivotent autour de ce personnage d’homme à la peau de serpent. Une sage-femme (Naomi Watts) recueille sur une fille morte en couches un journal intime écrit en russe, qui la conduit auprès du vieux propriétaire d’un restaurant, en réalité parrain de la mafia russe locale. Mortensen est le garde du corps flippant (genre, passé par les geôles sibériennes) du fils de ce dernier, un jeune chien fou impulsif et brutal (Vincent Cassel, bien speed).

Cronenberg arrive à la série B paré des meilleures intentions. Si le film semble légèrement en marge de son oeuvre, un peu comme le tordu Spider par exemple, il est bien supérieur à ce dernier. Cronenberg y fait preuve de maestria, bien sûr, mais montre aussi son goût pour l’aventure, les twists ravageurs, le rythme du cinéma d’exploitation : c’est aussi ça cela qu’on reconnaît un grand cinéaste, cette capacité à se fondre dans les impératifs d’un genre, quitte à se faire presque oublier avant de revenir d’un coup sec. Ici, pour un superbe plan sur Watts et Mortensen en moto, tout droit sorti d’un serial, il y a aussi de grandes scènes pénétrées (une séance de tatouage quasi mystique), signe que le film poursuit l’entreprise de History of violence dont il est en quelques sorte le film frère, mais sur un versant plus ludique, comme nettoyé de ses enjeux théoriques et recentré sur la mise en place basique de ses gestes fondateurs – voir la manière dont l’histoire de la violence est cette fois explicitement dessinée sur le corps de Mortensen. Malgré quelques défauts inhérents à un scénario somme toute assez banal, Les Promesses de l’ombre impressionne par sa manière de creuser modestement le sillon initié par le film précédent, celui d’un cinéma sacrifiant largement à la mécanique et à la logique de l’action, du récit et de la série B, quasiment contre toute pulsion auteurisante. Ce faisant, il touche plus habilement encore les points de force de l’univers de Cronenberg. Beau paradoxe dans lequel le cinéaste se meut avec bonheur et avec, lui aussi, la souplesse d’un reptile.