Publié en 1983 aux Etats-Unis, ce premier roman de Pete Dexter n’avait jusqu’alors pas été traduit en français. Un oubli aujourd’hui réparé par les éditions de l’Olivier, et qui permet de constater que l’univers noir de l’auteur était en place dès ses premiers pas en littérature. Car God’s pocket, à première vue, répond parfaitement aux clichés du polar à l’américaine : son meurtre, son flic, son journaliste, sa mère de famille éplorée, son mafieux et une série de personnages annexes mais capitaux, capables de créer une véritable ambiance. A seconde vue, God’s pocket n’est cependant pas tout à fait un roman noir. Ce serait plutôt une sorte de roman picaresque, les aventures des habitants du quartier de God’s Pocket, sud-Philadelphie ; une étude de mœurs, guidée par un ensemble de quiproquos et de mésaventures absurdes.

Tout commence avec la mort de Leon Hubbard, adolescent détesté par tous ceux qu’il croise sauf sa mère, cogné un peu trop fort par un de ses collègues de travail un jour où il aurait mieux fait de ne pas se lever. Après un faux témoignage unanime de l’équipe de professionnels en bâtiment qui l’entourait au moment du meurtre, les policiers concluent à l’accident tragique. Mais dans le quartier de God’s Pocket, où vit la mère du mort, ce verdict laisse sceptique. Jeanie Hubbard Scarpato, une maman particulièrement séduisante, remariée à un traficoteur un peu ours mais plutôt brave, est bien entendu la première à douter. Enfermée dans son chagrin, elle refuse de croire que son fils a pu laisser quelque chose lui tomber sur le crâne, et se laisse consoler par ses sœurs. Pendant ce temps, son mari Mickey tente comme il peut de vaquer à ses occupations (trafic de viande au volant d’un camion réfrigéré) tout en organisant l’enterrement le plus cher possible et en activant ses contacts pour découvrir la vérité sur la mort de Leon. C’est beaucoup pour un seul homme, surtout quand il est joueur et que son protecteur, petit mafieux, vit la fin de son règne.

Mickey va donc se trouver coincé dans un invraisemblable imbroglio, avec à l’arrière de son camion des quartiers de bœufs et un cadavre. Ce qui pourrait être une situation presque viable s’il n’était pas, par-dessus le marché, allègrement cocufié par sa chère épouse éplorée, séduite par le chroniqueur de faits divers Richard Shellburn, la mémoire vivante de la ville. En toux cas aux yeux de ses lecteurs : notre journaliste en réalité est un triste alcoolique divorcé, solitaire et aigri, qui depuis des années n’écrit plus vraiment ses papiers, vivant sur sa réputation et sa prétendue connaissance du bon peuple de Philadelphie. De sortie pour rencontrer la mère de Leon, il tombe sous son charme, imagine un instant pouvoir réécrire sa vie ; pur fantasme, naturellement, mais qui lui permet tout de même de vivre une aventure en pleine campagne. Avant la chute ultime, qui lui sera fatale. Quant aux autres protagonistes, on peut se contenter d’indiquer que comme souvent, tout finit plus ou moins par s’arranger, et même par retrouver un semblant de logique…

A lire cette succession de faits souvent absurdes, on se dit qu’il s’en est fallu de peu pour que l’ancien chroniqueur du Philadelphia Daily News livre un roman gag. Ce qui sauve le livre, c’est sa connaissance parfaite des faits, des lieux, des gens qu’il raconte. God’s pocket est un récit de genre, de société, qui raconte la classe moyenne blanche de Philadelphie, coincée dans son quartier, sans désir d’en sortir, et sans guère de possibilité non plus. Dexter court les rues et respire la ville pour en livrer la quintessence. En choisissant de faire un roman de ses pérégrinations réelles ou imaginaires, il rend sans doute le pus bel hommage possible à Philadelphie.