Une nouvelle fiction automobile (après Auto mobile fiction, d’Eric Meunié) pour un premier roman à la Perec, entièrement dépouillé de la lettre « c ». Autofiction sur fond d’enquête d’identité, à la poursuite d’un père fuyard, « Triangle » qui, comble de lâcheté pathologique, maquille son patronyme en « Losange ». Entre ces deux pères géométriquement opposés, le narrateur se trouve donc, et on le comprend, affreusement ballotté sur la route de la vie. La langue explore un degré zéro de l’écriture, vulgarité maîtrisée ou poésie du quotidien, flirtant volontairement avec le raz des pâquerettes : « Manque plus qu’un troupeau de Marguerites, mais à l’heure qu’il est, faut pas rêver. Pas de doute, je vais me planter ». Tout cela ne manque pas des trouvailles langagières cependant, outre le parti-pris de contrainte formelle : une énumération fantaisiste (« Des exemples ? Tiens : petit tas, petit bée, rapetissé, petit dé, petit heu, petit elfe, petit jet, petiti, petite haine« ), une variation comique à propos d’un bled nommé Lèvres (« J’habite les Lèvres, je demeure aux Lèvres, je rentre aux Lèvres, je me loge aux Lèvres, je reviens des Lèvres, je reste aux Lèvres. Je passe à deux doigts des Lèvres. Je suis à dix mille à l’heure sur la départementale »), etc. Les saynètes de la vie familiale et les réflexions aigres-douces sur le matriarcat contemporain, quant à elles, sont plutôt réussies (surtout les didascalies désopilantes) : « Petite saynète du quotidien. Lumière, Famille, dîner, dring ; avec : La mère (désespérée de lassitude), Le père (désespéré par l’habitude) et la Mamie (au bord du hara-kiri) ».

Si l’épopée familiale sonne juste dans son cynisme, l’éducation sentimentale, par contre, laisse à désirer, hésitant dangereusement entre pastiche érotique du Dernier tango à Paris et happy-end sucré : « Les femmes sauveront le monde ». Ou encore cette dernière phrase qui laisse rêveur, quand l’automobiliste fou renonce finalement à l’objet de sa quête pour se concentrer sur l’amour enfin retrouvé et une paternité inespérée : « Les filles m’attendent ». Quant à l’invective virulente au père défaillant, du type « Regarde moi bien connard, j’ai quand même réussi à être père à mon tour ! », on aurait peut-être pu s’en passer. Le geste littéraire vengeur s’adresse ici, par dessus la tête du lecteur, à un géniteur minable, assis au banc des accusés. On soupire alors en se disant une fois de plus que la littérature souffre de se confondre parfois avec un règlement de comptes.