Un grand titre pour un petit livre, remarquerait-on volontiers en ouvrant ce nouveau roman de Mathieu Lindon (le onzième), un titre dont la majuscule laisse d’ailleurs craindre deux ou trois choses du plus haut sérieux. Ca commence pourtant d’une manière presque burlesque avec un colloque organisé par le département de littérature scandinave de l’université de Besançon sur l’œuvre de Jesper Thorn, célèbre écrivain suédois d’une cinquantaine d’années, souvent comparé à Thomas Bernhard, tardivement arrivé à l’écriture après une carrière d’agriculteur et d’électricien.

Contre toute attente, Thorn lui-même, réputé pour son caractère peu communicatif, accepte l’invitation de principe que lui ont envoyée les organisateurs : c’est donc devant un amphithéâtre plein à craquer que le grand romancier lira son discours. Las : après une intervention « misérable » et difficilement intelligible, Thorn multiplie les caprices, provoque un grave incident avec l’un des notables présents et profite d’une panne partielle de l’éclairage pour interrompre unilatéralement le déroulement de la séance. « Par bien des côtés, la situation était grotesque. » Parti se promener sous la pluie avec un étudiant stupéfait (on goûtera avec un plaisir particulier les considérations de l’auteur sur les rapports entre pluie, pied, chaussette et chaussure), l’imprévisible Suédois se retrouve dans les allées du cimetière : voilà la première énigme du sac de nœuds paralittéraire dont va s’emparer le narrateur que l’on découvre dans la seconde partie du livre. Fasciné par l’immense auteur de Cupidité, il nourrit le projet de rédiger sa biographie : l’enquête peut commencer, les indices s’amonceler, le mystère s’épaissir et l’enjeu du roman se dévoiler. Assisté en Suède d’un détective privé et en France par l’étudiant qui a accompagné Thorn dans sa promenade bisontine, notre homme cherche à clarifier le passé de son sujet et résoudre le puzzle de l’amour perdu qui semble donner la matière de son nouveau texte, en disciple avisé de ce Sherlock Holmes que semble tant admirer Mathieu Lindon. Parce que les mots ne suffisent pas, probablement, et que les vrais écrivains sont tenus, tôt ou tard, de donner autre chose que des livres à ceux qui les admirent. C’est d’ailleurs ce que Thorn, dans son français très approximatif, raconte à son public au début de son intervention : « aux écrivains, on demande autre chose que de la lecture ». De Besançon, on partira donc à Stockholm, où notre biographe recueillera encore quelques renseignements avant de finalement pénétrer à l’intérieur de l’appartement de l’écrivain, là où se jouera la longue et saisissante scène finale du roman.

Dans un style souvent tortueux (ou tordu : « j’avais incité Björn Durrant à inviter Jesper Thorn à son colloque parce que faire parler un écrivain aimé me paraissait le même bénéfique projet déjà à l’œuvre dans ma biographie »), Mathieu Lindon fait de sa Littérature une réflexion à la fois loufoque et subtile sur ceux qui la font, individus énigmatiques dont les rapports à leur œuvre sont le lieu d’insondables mystères. Ce qu’ils écrivent « n’est jamais suffisant » : les livres cachent toujours quelque secret enfoui qu’un biographe dévoué se proposera un jour de déterrer. Un peu trop tôt sans doute au goût de l’excentrique Jesper Thorn, qui n’en finit plus de compliquer la tâche à ses propres hagiographes zélés : « Mais qu’ai-je fait pour tellement vous intéresser ? »