Abolir la monnaie, donner à chacun le choix du travail ou de l’oisiveté, rentabiliser au mieux les potentialités de chaque individu en l’affectant à la tâche la plus adaptée à ses compétences et à ses goûts : ce sont quelques-uns des bouleversement socio-économiques provoqués par l’arrivée au pouvoir de Dexus, sorte de dictateur soft invisible et inquiétant, plus omnipotent que l’Etat tout-puissant des cauchemars dix-neuviémistes de Tocqueville. Will, le héros du roman, était en Afrique au moment du coup d’Etat (un putsch sans violence, apprend-on) ; il débarque à Roissy dans une France où plus rien ne fonctionne comme avant et, de surprises en déconvenues, découvre les mécanismes totalitaires de ce nouveau régime strictement antilibéral (au sens économique aussi bien que politique) dans lequel chaque individu est entièrement pris en charge par la collectivité et guidé par la main à chaque instant de sa vie. Le principe du système est plus ou moins comparable à la fameuse maxime édictée par Marx dans sa Critique du programme de Gotha, au milieu des années 1870 : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Dans le cadre d’un système de répartition strictement rationalisé grâce à un logiciel informatique génial et infaillible, chacun reçoit exactement ce qu’il lui faut pour vivre (compte tenu de ses goûts, de son caractère, de son statut social) et chacun donne ce qu’il peut donner ; un gros dixième de la population est actif économiquement (aucune surproduction n’est tolérée : on ne produit que ce dont on a besoin pour vivre, à rebours du principe central du capitalisme), le reste se faisant entretenir et prendre en charge par la collectivité en échange de menus services offerts à autrui, services calculés et déterminés grâce à une série de tests psychologiques absurdes. Après avoir vainement tenté sa chance dans le travail, Will se retrouve ainsi affecté au service d’une active nommée Alix, forte femme dont il devient l’animal de compagnie (tous les « vrais » animaux de compagnie ont été exterminés par le régime pour libérer des services à la personne) et l’esclave sexuel, trimballé au bout d’une laisse et caressé comme un teckel. Bienvenue en utopie…

Le roman d’anticipation est un genre trop rare chez nous pour qu’on ne prenne pas la peine de s’intéresser à celui-ci, placé sous les auspices du Candide de Voltaire. Le regard de Marielle Gallet ne manque pas d’acuité : dans Votre esclave, madame se lit une vigoureuse critique en creux de l’extension illimitée du domaine étatique et de l’abandon des individus aux parcours fléchés que le pouvoir leur ménage avec bienveillance, quitte à leur ôter toute responsabilité et toute possibilité de décider en conscience de l’orientation à donner à leur existence. La prise en charge par le Léviathan de la sexualité, envisagée sous l’angle de la mutualisation générale des services et du pur besoin à satisfaire, est à ce titre particulièrement bien vue. La réussite du tableau et les remarquables inventions de l’auteur n’empêchent cependant pas que le roman laisse le lecteur sur sa faim. Marielle Gallet ne décrit que la face externe et visible d’un univers dans lequel on aurait aimé qu’elle nous fasse pénétrer plus avant, et ramène ce qui aurait pu être la fresque d’un totalitarisme nouveau aux dimensions d’une toile finalement bien modeste ; son écriture rustique, banale et sans recherche (première phrase : « Will comprit que le monde avait changé quand il réussit à parcourir plus d’une vingtaine de mètres rue Royer-Collard, sans écraser une merde de chien ») prive par ailleurs le texte du mystère (et de l’élégance) qui auraient pu être le sien. On regrette d’autant plus ces limites que l’auteur ne semble pas manquer d’imagination, ni d’intelligence des futurs possible de l’Occident. Dommage.