Sur les forums jeux vidéo, dans la presse spécialisée, la presse généraliste, d’aucuns prétendent que Conker’s bad fur day, originellement sorti sur N64, aurait un peu vieilli, que sa prétendue subversion aurait sérieusement pris du plomb dans l’aile. La preuve : son remake Xbox boosté au fur-shading n’est vendu par Microsoft que comme l’add-on d’un clone cafouilleux de Battlefield dans lequel d’adorables mais sadiques bestioles poilues s’étripent online, comme le feraient d’impitoyables warriors kakis lâchés sur d’inévitables plages de débarquement. Conker, un vulgaire cadeau Bonux ? Les executives de Microsoft ont dû passer trop de temps le nez fourré dans la coke. Conker mérite mieux que ça, ses provocations de camionneurs tiennent même encore la distance. Bad fur day ne perd en réalité une partie de sa verve uniquement parce que son insolence trouvait sa place sur N64. Car Bad fur day, c’est avant tout une part de légende : c’est le méchant Nintendo conservateur qui ne soutient que du bout des lèvres le jeu revanchard d’un Rare en colère, quelques années avant le divorce entre le constructeur et le développeur. C’est beau, une légende, mais c’est aussi forcément un peu partial, voire totalement injuste. Puisqu’au final, ce n’est pas tout à fait l’univers familial de Nintendo que Rare tente de dynamiter, c’est Rare lui-même qui se tartine de merde.

En plus d’assurer les soins palliatifs pour embellir les derniers jours de consoles en fin de parcours, l’écureuil rouquemoute endosse aussi le costume en velours côtelé du psychanalyste pour aider Rare à combattre ses démons intérieurs. Il fallait une thérapie de choc… Résultat : Bad fur day est un jeu totalement cyclothymique, aux humeurs diverses et variées. Gueule de bois le matin, haine de soi l’après-midi, effervescence nocturne et réveil douloureux. Au vu de la situation actuelle de Rare, qui a lamentablement loupé le coche de cette génération de consoles, cette extrême confusion des sentiments reste plus que jamais d’actualité. La problématique du remake ne se pose donc même plus. Elle est de toute façon rapidement évacuée dès les premières minutes de jeu par la grâce de deux-trois lignes de dialogue distancié qui n’épateront plus grand-monde.

Démarrage punk avec une parodie réjouissante d’Orange mécanique, puis furie pipi-caca péchant parfois par excès de zèle, Bad fur day se place d’abord sous le signe de l’auto-flagellation. Aux chiottes les gentils animaux de la forêt, désormais bestioles brutales, vénales et obsédées du cul. Aux chiottes la collectionnite maladive, gentiment moquée sous la forme d’une chasse un peu factice aux billets verts, tellement gueulards qu’il est littéralement impossible de les louper. Aux chiottes Rare et aux chiottes Nintendo. A force de pousser l’écureuil dans la fosse septique, Bad fur day finit par provoquer le malaise : ça fait tout de même beaucoup de caca, d’urine, et de cul pour un seul jeu… Mal à l’aise, Conker scie volontairement la branche sur laquelle il est assis. C’est un plateformer parfois bancal, à la progression hasardeuse et aux objectifs souvent obscurs qui se détruit peu à peu de l’intérieur. Jusqu’au climax ordurier, l’affrontement aussi mémorable que mal foutu contre « The Great Mighty Poo », un étron géant porté sur la grande musique. Un véritable point de rupture jusqu’au-boutiste à partir duquel le jeu va progressivement retrouver sa joie de vivre.

Fin de la première partie : Bad fur day retourne sa veste, devient plus linéaire, et abandonne le schéma classique plates-formes-aventure au profit d’un ride expérimental et multi-genres. L’humour se fait plus délicat, plus référencé, le jeu de Rare se fait enfin plaisir, détourne les séquences cultes des hits cinématographiques de l’époque et accumule les morceaux de bravoure, forcément inégaux, tantôt visionnaires –Conker invente Resident evil 4 quatre ans avant Capcom, lors d’une grandiose séance de tir aux zombies-, tantôt laborieux -quelques passages délicats à la prise en main hasardeuse. Surprise, Conker est en fait un jeu transitoire qui s’ignore, moderne avant l’heure, dont l’importance dépasse largement la provoc’ quasi prépubère de ses premières heures. Problème : Conker n’a pas l’air d’avoir vraiment conscience de sa valeur. Et son enthousiasme finit par retomber quelques secondes avant le boss final.

D’où ce final terriblement amer, dépressif et dépréciatif. Conker, héros malgré lui, se retrouve maître d’un monde qu’il déteste, entouré de sujets qu’il méprise. Entouré d’abrutis, soit trop bons, soit trop cons, l’écureuil fait l’expérience douloureuse de la solitude, privé des joies simples de l’existence. Comprendre se bourrer la gueule et pisser dans le caniveau. Durant toute la durée du jeu, Bad fur day n’aura finalement pris son pied que lorsqu’il délaisse son univers perverti pour un catalogue caustique de références extérieures. C’est ici que se niche son véritable potentiel, au-delà du désir de piétiner ses racines niaiseuses, au-delà de l’ambition un peu vaine d’accompagner le jeu vidéo vers l’âge adulte, au-delà de l’aspect forcément un peu testamentaire. Conker est tout simplement un grand jeu qui ne s’aime pas.