A peu de choses près, tout est dans le titre. Chez Oulitskaïa, on agonise en blaguant, on dégénère lentement la larme à l’œil, on succombe sereinement à la sclérose en plaques en méditant sur la paralysie musculaire et la prochaine défaillance des fonctions respiratoires sans cesser un instant de rire au nez de la grande faucheuse. Le mourant est russe, s’appelle Alik et vit ses derniers jours dans un loft de Manhattan, en plein été (« il faisait une chaleur torride, cent pour cent d’humidité »), entre ses toiles inachevées (il est -ou, plus précisément, était- peintre), les tubes et les perfusions qui entourent son lit et, clef de la joie promise par l’auteur, la grande bande de proches, d’amis et de maîtresses venus assister à sa disparition dans une longue veillée tragi-comique. Il faut encore ajouter qu’il n’a plus un radis, n’a pas réglé son propriétaire depuis un certain temps et doit aux cotisations de ses bienveillantes relations de ne pas crever en bas, sur le trottoir. De joyeuses funérailles, donc, puisque autour de notre quasi-cadavre, réduit à s’exprimer par clins d’œil et grognements, se joue une délicieuse petite pièce nostalgique et multiconfessionnelle à laquelle la romancière moscovite, dans un style irrésistible, confère une profondeur insoupçonnable. Pendant que les amis du peintre, abreuvés de vodka, évoquent la mère patrie et les douleurs diffuses de l’émigration, un rabbin et un pope, convoqués respectivement par l’intéressé (russe et juif, comme il se doit) et sa dernière femme (obsédée par l’idée de le convertir au christianisme avant de le voir s’éteindre) se succèdent à son chevet, sans manquer bien sûr de finalement se croiser par inadvertance.

Le choc au sommet des deux religieux constitue l’apogée de ce court récit à l’humour en demi-teinte où se mêlent, dans un ballet de retrouvailles, de disputes et de réconciliations, les imaginaires slave, juif et américain ; Ludmila Oulitskaïa réalise l’admirable exploit de nous parler foi, mort et mystique sans verser une seconde dans le lugubre, évoquant ces affaires d’importance (c’est le moins que l’on puisse dire) sans se départir d’un humour ironique, à la fois sincère et désolé. Tout aurait pu, sous une plume moins optimiste, être d’une tristesse monochrome un peu emphatique, plombée par une métaphysique ennuyeuse : ces funérailles-là explosent au contraire de couleurs, dans un New York écrasé de chaleur dont elle restitue à merveille le cosmopolitisme, entre ces Russes imbibés dans l’appartement, ce rabbin en conflit avec un orthodoxe imprévu, le tintamarre des musiciens paraguayens qui jouent de la guitare en bas de l’immeuble et cette bohème new-yorkaise qui défile dans la cuisine. Tous plus exubérants les uns que les autres, mais au moins d’accord sur un point : les funérailles, malgré leur objet un peu particulier, sont après tout une fête comme les autres.