Ceux qui pensent que le fil rouge qui consolide l’imposante production manga ne se résume qu’à une série de gimmicks graphiques et narratifs en seront pour leurs frais. S’il ne fallait retenir qu’une seule récurrence des genres divers et variés qui composent la bande dessinée japonaise, on pourrait citer -en évitant tout de même de tomber dans le piège du systématisme- le thème de l’adolescence. Une vision de l’adolescence parfois monstrueuse, souvent torturée, déclinée à toutes les sauces et sujette à moult métaphores et symboles. On ne s’étonnera pas dès lors que le lycée soit le décor idéal du manga que ce soit dans un cadre purement fictionnel ou pseudo-documentaire.
Et lorsque le lycéen nippon moyen ne pilote pas de robot géant ou ne chasse pas le monstre radioactif, il vit sa petite vie de tous les jours, entre brimades quotidiennes et échec scolaire.

GTO appartient à cette veine plus « sociale » -un bien grand mot-, plus réaliste du « manga de lycée ». Dans le genre, on a vu mieux (Rookies, ou Printemps bleu, tous deux édités par Tonkam), mais GTO se distingue par un argument de départ assez incroyable, du moins d’un point de vue « occidentalocentriste » : victime d’un mémorable râteau, Onizuka, jeune glandeur de 22 ans, décide d’arrêter de fantasmer sur les petites culottes de lycéennes et de rentrer dans le vif du sujet en devenant prof stagiaire. Histoire, bien évidemment, de se taper un max de jeunes filles pubescentes en uniforme. Dans un registre identique, on avait droit en France à Jacques Brel et à son ineffable tronche de cocker. Ici, les liaisons dangereuses profs-élèves sont traitées avec une légèreté qui frôlerait presque le politiquement incorrect, si on oubliait de préciser que la fonction d’enseignant est tellement respectée au Japon qu’il n’est pas rare qu’un professeur y épouse une de ses élèves sans que cela soulève de véritable scandale.
Mais le but de Tôru Fujisawa n’est pas d’ironiser sur un sujet gentiment scabreux. Si ses motivations de départ sont moins nobles que celles du Kawato de Rookies, Onizuka finit tout de même par prendre sa vocation au sérieux et entreprend de devenir un « great teacher » -d’où le titre. Ici, pas d’image franchouillarde et ringarde du prof, barbe collier à la Robert Hue et veste en velours élimée, le « great teacher » est djeunz, cool, marrant, un peu bêta sur les bords et surtout com-pré-hen-sif envers ses élèves. Des élèves le plus souvent tourmentés et/ou désabusés qui cognent tout ce qui bouge, notamment les plus faibles de leurs camarades. Le « great teacher » s’imposera donc la tâche de les remettre dans le droit chemin, en instillant, avec plus ou moins d’habileté, un peu de pédagogie et beaucoup de castagne à l’asiate.

Bien qu’un peu bâclé d’un point de vue graphique, GTO a rencontré au Japon un succès suffisant pour se voir adapté à la télévision et au cinéma. Peut-être grâce à son humour, parfois franchement hilarant, riche en quiproquos (cf. la scène où une lycéenne sainte-nitouche confond une séance de bondage costumé avec un cosplay) et à sa vision franche du collier des travers de la société nippone. Le lecteur occidental, quant à lui, y trouvera l’occasion d’enrichir sa culture du Japon urbain… sans trop de fatigue…