Parmi les premiers romans de la rentrée littéraire 2006, on trouve Formications. De l’expression bien connue « avoir ses formications », malaise aisément identifiable, souvent traduit dans le langage courant par les termes « avoir des fourmis dans » (les mains, les pieds, les jambes, c’est selon). Un état favorisé, si on exclut l’idée d’une maladie plus grave, par tout stress mal maîtrisé. Voilà pour ce titre un peu mystérieux. Ceci dit, Julien Péluchon nous facilite la tâche : il donne en exergue une belle définition du mot tirée du Dictionnaire de médecine usuelle (1849). Un document qu’il a peut-être croisé au hasard de ses études, puisque sa biographie, succincte, nous apprend qu’à 28 ans, il a eu le temps de toucher aux mathématiques, à la médecine, aux beaux-arts et aux lettres, et qu’il s’intéresse à la peinture, la vidéo et la chanson. Et donc au roman, à présent. Nous sommes à la veille de l’été 86, au Havre. L’été du bac pour John et ses camarades, événement qui vient conclure des années passées à traîner un ennui certain dans cette ville où il n’y a pas grand-chose à faire, pas grand-chose à voir. Pas grand-chose, sauf Labies Mondor : la plus belle fille du lycée, qui se signale à l’attention de tous par son nom, pour le moins improbable, par sa plastique, remarquable, et par son attitude, juste assez distante pour nourrir les rumeurs, les envies, bref, entretenir le mystère. Bien entendu, pour John le solitaire, le misanthrope, peu aimé, peu suivi, Labies incarne tous les fantasmes. Pas facile pour quelqu’un qui prétend par ailleurs ne s’attacher à rien, ne croire en rien.

Mais les hormones ont la vie dure. Et comme on peut s’en douter, ses stratégies d’adolescent peu mature sont vouées à l’échec : John ne joue pas dans la même cour que la jolie Labies. Heureusement, les heures, à cet âge, passent assez vite pour effacer des souvenirs douloureux. Et surtout, un mystérieux oracle vient bouleverser (assez mollement, mais tout de même) la vie de John : surgi d’un buisson, au soir de la traditionnelle fête qui célèbre la fin des années lycée, une mystérieuse silhouette en redingote et haut-de-forme, identifiée le lendemain sous le nom de Jean Langlois, peintre, lui prédit la mort pour ses 30 ans. Une prédiction d’abord oubliée, mais qui revient trotter par la suite dans la mémoire de John. A 25 ans, toujours désoeuvré, il décide de devenir acteur : s’il incarne d’autres personnages, la mort ne pourra peut-être pas le toucher. Commence la seconde partie du roman, au doux parfum de saga de l’été : John incarne le duc du Val dans un feuilleton à succès, retrouve Labies et coule avec elle des jours heureux dans une jolie maison. Il rencontre à nouveau le fameux Jean Langlois, à l’origine du personnage du duc du Val, vieil excentrique fasciné par les fourmis. Puis les choses tournent mal : Labies le quitte. John s’enferme chez lui. Et, à quelques jours de son trentième anniversaire, alors qu’il croit fuir sa mort prématurée, celle-ci le rattrape, comme le veut la tradition, dans un labyrinthe cauchemardesque, cependant que son ami d’enfance, devenu flic, le poursuit pour une dernière traque dont il ne sortira pas vivant. Ce qui était prédit adviendra.

Pour ce roman, porté par le poids du destin, Julien Péluchon opère un curieux mélange : roman du terroir dans la campagne du Havre, roman à l’eau de rose, saga, sans oublier l’influx de folie furieuse nécessaire pour accélérer le mouvement à la fin. John est le héros d’aventures sans piquant. Le texte traîne une histoire sans fin et, puisque la prédestination y a une place de choix, il reste peu de place pour la surprise. Plus réussi, le ton allie un certain dandysme à une suffisance fatiguée pour un effet étrangement hors du temps, très années 80, désuet et séduisant. Et puis cette conclusion : ne cherchez pas à tromper le destin, il gagne toujours à la fin. Depuis les tragiques grecs, on était au courant.