Afghanistan, Jabal-os-Saraj, 2001. Adam Kellas, journaliste, réécrit patiemment le thriller géopolitique qui doit lui apporter la fortune, quitte à faire médiocre. En pleine guerre afghane, il noie son ennui, son sentiment d’inabouti, son insatisfaction et, merveille, il tombe amoureux de la belle Astrid, correspondante pour un journal américain. James Meek serait-il un indécrottable romantique ? Le romancier écossais écrit depuis toujours, d’abord sans grand succès, ensuite avec, lors de la publication en 2005 d’Un Acte d’amour, fresque sibérienne encensée par la critique, traduite dans toutes les langues et en cours d’adaptation au cinéma. Nous commençons notre descente est un roman non moins ambitieux mais plus abouti et, bien sûr, plus complexe que ce que son intrigue laisse imaginer ; il pourrait bien suivre le même chemin que le précédent. Meek, longtemps grand reporter, a une fois encore puisé dans son vécu pour écrire. Mais les comparaisons s’arrêtent là : « As a writer it’s all about’what if », dit-il ; à partir de là, tous les possibles s’offrent.

Nous commençons notre descente traite de la solitude, des ambitions avortées, des espoirs déçus, de la difficulté, voire de l’impossibilité de communiquer. Entre deux personnes, deux mondes, deux points de vue. De la difficulté à transmettre. Comment faire comprendre la guerre ? Dans cette scène où Kellas, invité chez des amis londoniens, détruit le salon dans un moment de folie, pour, à la demande de ses hôtes, dire la réalité du terrain, on sent l’impuissance du personnage, dépassé par son vécu, incapable de passer sans séquelles d’un univers à l’autre. Meek n’arrête pas là les tribulations de son protagoniste sans illusions. Après ses frasques londoniennes, il s’envole en première classe pour New York, où il a rendez-vous avec son éditeur pour signer le contrat de publication de son roman (qu’il sait absolument nul) ; à sa voisine de siège qui lui demande : « Qu’est ce qui vous a donné l’envie d’écrire un livre pareil », il répond : « L’argent. Le désir d’être lu », et en même temps se ronge les sangs parce que son ami, le barde poète écossais M’Gurgan, vient de son côté de publier un livre invendable mais sans compromission, salué par tous. Il se retrouve sur le sol américain sans bagages, sous la neige, obsédé par la pensée de retrouver au plus vite Astrid. Et là, bien sûr, rien ne va plus : son éditeur, qui vient d’être racheté, ne publiera finalement pas L’Envol de l’aigle solitaire, le nouveau directeur du groupe estimant n’avoir pas besoin de « ce genre de merde anti-américaine ». Sans argent (il a démissionné de son poste de journaliste), il prend un bus pour un coin perdu du pays. Largué en rase campagne, pris en stop par miracle, il découvre qu’Astrid n’attend pas sa venue, et qu’elle ne la souhaite même pas. Qu’elle a une fille, mais pas de lui. Et qu’elle est alcoolique. Bref, qu’il ne la connaît pas. Mais que, parce que James Meek est un romantique, décidément, les choses peuvent peut-être malgré tout s’arranger…

Ce qui aurait pu n’être qu’une bluette, un roman à l’eau de rose, déborde largement les clichés du genre. Meek, contrairement à son anti-héros, n’est pas disposé à écrire pour rien. Son analyse d’un univers qu’il connaît bien est lucide, sa justesse de ton transforme presque certaines scènes en reportages. Il bouscule la question des ego, des la frustration, de l’ambition, sous couvert d’un lyrisme discret. Pour son prochain roman, il paraît qu’il envisage d’abandonner les terres lointaines et de se plonger dans une introspection écossaise, plus en profondeur. Le familier, sans sa dose d’exotisme, lui autorisera-t-il les mêmes variations romantiques ?