Le pop art ne semble jamais s’être aussi bien porté qu’aujourd’hui. Tandis que le Centre Georges-Pompidou s’apprête à lui consacrer une exposition, les héritiers de ces tumultueuses années, que ce soit dans le cinéma, la musique ou les arts plastiques, ont su se réapproprier les recettes de leurs aînés pour assurer la continuité. Aussi, rien de tel qu’un retour aux sources pour retrouver l’ambiance de la Factory à New York (considérée par certains comme la capitale du pop, avant Londres), à l’occasion de la publication par l’éditeur allemand Steidl d’un ouvrage du photographe Gerard Malanga.

Pour le public français, Malanga demeure un acteur méconnu de la scène new-yorkaise des années 60-70. Il fut pourtant l’un des piliers de la Factory, à tel point que le New York Times lui décerna un jour le titre du « plus important assistant d’Andy Warhol ». A la fois photographe, réalisateur et poète, il eut une influence considérable sur le travail de son illustre compagnon. Ils réalisèrent ensemble les quelque 500 portraits appelés « screen tests », que les amoureux (ils sont nombreux) de la belle Edie Sedgwick ont encore en mémoire. Quant aux amateurs du Velvet Underground, ils se souviendront peut-être de ce jeune homme au visage angélique et à la silhouette ambiguè qui, lors des premières prestations du groupe de Lou Reed, apparaissait sur scène pour une danse du fouet aujourd’hui légendaire.

Screen Tests, Portraits, Nudes constitue une rétrospective des travaux du photographe. On y retrouve successivement les fameux screen tests, une importante collection de portraits et, en fin de volume, une trentaine de photos de nus. Disons-le sans détour, cette dernière partie est d’un intérêt relativement limité. Les nus de Malanga sont d’une banalité affligeante que ne sauvent que leurs titres, souvent poétiques ou en référence à quelques grands artistes, tel Balthus. Ce qui retient ici l’attention c’est le travail d’archivage du photographe : ses portraits en noir et blanc de Robert Mapplethorpe, William Burroughs, Lou Reed, Iggy Pop ou encore Tennessee Williams sont autant de témoignages uniques, pris sur le vif, d’une époque révolue mais qui ne cesse de fasciner. A partir de tels clichés, c’est cependant bien plus que la scène pop qui s’affiche : Malanga apparaît en effet comme le témoin mais aussi le lien entre la beat et la pop generation. Si l’on y croise de nombreux artistes désormais connus et célébrés (Charles Bukowski en chemise à motifs, Patty Smith déjà prêtresse, John Cage cabotinant et Mick Jagger) dont les poses et les attitudes ne nous surprennent plus, il en va tout autrement pour ces « anonymes » dont la renommée n’a pas traversé l’Atlantique. Qui est donc cette Julia Murphy, écrivain et musicienne, balafrée du coin des lèvres jusqu’au cou ? Ce Galway Kinnel, poète et professeur, avec ses enfants Maud et Pancho Fergus ? Légion sont ces artistes dont Malanga a retenu l’image, et comme autant de symboles de l’effervescence artistique du New York des années 60-70.

On retiendra que le photographe fut également le mémorialiste de sa propre famille ; son autoportrait avec son père (Gerard and his father), puis la photographie représentant à nouveau son géniteur dans un cercueil le jour de ses funérailles (The funeral wakes of Gerardo Malango) participent de ces instants trop rares d’intimité où Malanga est bien loin des milieux artistiques, en quête croirait-on, d’un second souffle. Et ce n’est certainement pas un hasard si la série de portraits s’achève sur cette image de deuil. Il était peut-être temps de tourner la page…