On n’étonnera personne en disant qu’ils sont universitaires, dans la fleur de l’âge, mariés (l’une est veuve, c’est tout comme), experts dans leur domaine et que, fatalement, ils tomberont amoureux l’un de l’autre : ce sont les héros du nouveau roman de David Lodge, lequel abandonne ici le mythique campus de Rummidge (celui de Jeu de société) pour celui, tout aussi imaginaire, de Gloucester. Ralph Messenger, spécialiste en sciences cognitives, y règne sur un coûteux institut de recherche des hauteurs duquel, songeur, il peut contempler la part féminine de la population étudiante. L’épouse de Ralph connaît ses faiblesses mais s’est faite une raison, d’autant plus facilement d’ailleurs que personne n’est tout à fait irréprochable dans cette bourgeoisie intellectuelle anglaise dont ce best-sellers-writer de 67 ans, roman après roman, ausculte les dessous d’un oeil narquois. La dernière lubie de Messenger : une sorte d’auto-analyse cheap dans laquelle, un dictaphone collé aux lèvres, il met en mots le flot anarchique de ses pensées, histoire de voir jusqu’où l’on peut aller sans refouler ses propres fantasmes. Il n’en manque bien sûr pas (la vieille fermière du Yorkshire auprès de laquelle il perdit sa virginité, les coups d’une nuit lors des colloques loin du foyer), surtout depuis qu’Helen Reed, une veuve bien conservée dont la bibliothèque du coin conserve probablement les nombreux romans, a été embauchée par l’Université pour animer un séminaire de création littéraire. Le reste est affaire, comme à l’accoutumée, de flirt plus ou moins cérébral, d’unions charnelles plus ou moins soft, d’exotisme de pacotille (ici, un jaccuzi et une petite arriviste tchèque prête à tout pour exposer son poster au colloque organisé par Messenger), de satire en demi-teinte et d’allusions littéraires par tonneaux (Helen n’est pas romancière pour rien, et ses étudiants d’un semestre ne manquent pas de talent : d’Amis à Rushdie en passant par Welsh et Beckett, les pastiches ne manquent pas).

La transcription des bandes enregistrées de Messenger et le journal intime soigneusement tenu d’Helen – pour ne pas parler des hilarantes séries d’e-mails échangés par les uns et les autres – permettent à Lodge de nous renvoyer d’une pensée secrète à l’autre et de diffuser à doses légères dans cette comédie cérébro-sentimentale les fragments d’une petite philosophie de la conscience et de l’intelligence artificielle. Moralité ? Le contenu de la caboche d’autrui reste un mystère, malgré les efforts de Messenger pour y voir clair. Mensonges et faux-semblants, secrets et confessions forment le coeur de ce campus novel tendrement sarcastique qui, pour rester bien en-deçà des meilleurs Lodge, garde cette saveur qu’on ne trouve nulle part ailleurs.