Que penser d’un livre dont le titre est L’Institut Giuliani, sous-titré La Conversation des morts, et dont l’auteur annonce qu’il est le premier d’une série de sept romans, tous composés de 49 (7×7) chapitres -série appelée précisément La Conversation des morts-, dont les sept personnages principaux meurent chacun dans un des sept livres, avant de hanter le monde des vivants ? D’abord, que l’auteur paraît avoir réfléchi un coup particulièrement tordu, et aussi que ce genre de concepts mène aux grands désastres ou aux grandes réussites. Alors, lisons.

Tout de suite, c’est une langue qui frappe. Une langue claire, sobre et pourtant sauvage, incontrôlable. De celles qui retiennent l’intérêt dans les moments les plus banals, qui savent mettre à jour les détails cachés des tableaux qu’elles dépeignent, y distiller aussi le mystère, l’interrogation. Pour mieux entraîner le lecteur dans une histoire folle. Folle. C’est le mot. Comment envisager même de raconter celle, fascinante, que tisse Michel Vittoz, chapitre après chapitre, dans des entrelacs d’époques, de personnages et de situations ? Il y est beaucoup question, comme l’indique le titre générique de la série, de la mort. Présentes partout, ses manifestations rongent la vie quotidienne, la dévorent par petits bouts, lui ôtent toute présence : « Quand même, c’est bizarre, si c’est la mort, ça commence par un souvenir ». Il faut dire que la seule réalité qu’offrent, en cette veille de Seconde Guerre mondiale, les résidents de l’Institut Giuliani en Italie, c’est celle de leur maladie, incurable, bien que l’atmosphère envoûtante de l’édifice, qui semble figer le temps, et les pouvoirs particuliers du personnel soignant semblent en retarder l’échéance.

Et puis, il y a ce fameux chiffre 7, qui nous aide à nous repérer. Au chapitre 7, Tommaso Giuliani est transporté après une altercation avec une milice fasciste à l’hôpital San Matteo de Pavie. Quelques jours plus tard, il meurt de ses blessures. Du moins le croit-on, car on le retrouve quelques années plus tard à la tête de l’Institut qui porte son nom. Et il y a bien les sept personnages principaux, comme annoncés, tous plus étranges les uns que les autres (l’un est resté un enfant depuis un accident, une autre baise les patients dont elle pressent qu’ils vont mourir, etc.). Et surtout, ce code militaire que déchiffre Elie le jardinier doué de prémonitions, organisé autour  » d’un thème (le chiffre 7) ordonné par un vecteur principal (le nombre 13) « , explication donnée dans le chapitre 13… Dès lors, toute explication donnée dans ce chapitre devient précieuse car elle renseigne directement sur le projet de l’auteur, sur l’ordonnancement de son puzzle littéraire. Ou quand la littérature et les mathématiques pythagoriciennes se rencontrent.

Tout ça vous paraît un peu farfelu ? N’ayez pas peur, on peut aussi prendre ce livre comme un grand roman au souffle épique, Michel Vittoz n’a pas oublié sa plume dans sa calculatrice. Les personnages, l’intrigue, le style, tout chez cet auteur relève d’une poésie qui se plaît à laisser traîner une ambiguïté surnaturelle, son texte regorge de symboles d’une beauté saisissante, et la maîtrise qu’il en a sans qu’il paraisse lui en coûter force l’admiration. On attend désormais la suite de cette Conversation des morts à laquelle personne n’avait encore pensé. Comment Michel Vittoz va-t-il avoir assez d’idées pour écrire encore six livres à la mesure de celui-ci ?