Lire un livre de Christine Angot, c’est comme aller voir les Rolling Stones : on serait déçu si elle ne jouait pas ses standards. Pour notre plus grand bonheur, elle les reprend tous dans son nouveau roman, Rendez-vous. Page 16, ça démarre très fort : elle attaque sur une belle évocation de ses poils de chatte. Enchaînement direct sur l’inceste avec papa deux pages plus loin puis, page 24, apparition du psychanalyste, qu’on a toujours plaisir à retrouver. Page 29, autre grand classique : une bonne grosse queue bien dure, en l’espèce celle d’un banquier blindé de fric qui poursuit Christine de ses ardeurs. Page 38, entrée en scène de l’ostéopathe, l’un des personnages-clefs de son univers, déjà présent dans Pourquoi le Brésil. Page 68, montée en puissance : Christine a la nausée, elle essaye de gerber. Et page 69, c’est l’apothéose, le feu d’artifices que tout le monde attendait depuis trois ou quatre livres : une bonne vieille chiasse qui la tiendra toute la nuit sur les toilettes, « des selles liquides qui ne purifiaient rien ». Pas de doute, avec cette diarrhée d’anthologie, Christine vient d’écrire un nouveau tube planétaire, qu’on espère bien retrouver dans ses prochains romans.

Sinon, de quoi ça parle, Rendez-vous ? Toujours pareil : Christine et Pierre Louis ont rompu (cf. épisode précédent), Christine se fait draguer par un banquier chauve qui lui offre des fringues de luxe, puis rencontre un comédien nommé Eric, prend un verre avec lui, ils se mettent ensemble, sauf que non, alors elle l’appelle, laisse des messages, il rappelle, tout roule, puis ils rompent, se revoient, font l’amour, se rappellent, les emplois du temps ne collent pas, elle se branle en pensant à lui, puis elle le rappelle, ils se remettent ensemble, etc. Dans le même temps, Christine note tout pour faire un roman de leur petite love affair, roman qu’elle lui fait lire au fur et à mesure et qui, du coup, devient partie prenante de leur histoire : avec ses gros sabots, elle nous fait fièrement le coup de la fiction qui phagocyte la réalité – comme c’est original. Dans l’ensemble, passée l’excitation du début, cet interminable « je t’aime / moi non plus » s’avère épouvantablement monotone et fastidieux : Rendez-vous, ce sont 400 pages de conversations sans queue ni tête, de messages téléphoniques bredouillants et d’auto-analyse débile. Rien ne vient sublimer cette historiette banalissime, nulle part on ne trouve le regard littéraire qui transcenderait sa platitude, à aucun moment Angot ne la raconte en écrivain. Combien ont mieux écrit sur l’amour, combien ont traité du même sujet avec infiniment plus de finesse, d’intelligence, de talent ? Angot tente en permanence de donner du lustre à son texte en parlant solennellement de « l’art » et de « l’écriture », genre regardez-comme-mon-livre-parle-de-choses-importantes, mais ces tentatives pathétiques échouent lamentablement. Alors elle brode, délaye tant qu’elle peut, retranscrit les « euh » et les « ben » laissés par Eric sur son répondeur, insiste sur des détails dérisoires, étire chaque scène jusqu’au ridicule (page 80, il lui faut trente lignes pour descendre d’une bagnole -un record). Chez elle, l’insignifiant fait loi. Voyez par exemple ce palpitant extrait de la page 326 : « Le 4 c’était la première. Je pouvais venir le 4 ou longtemps après. A partir du 9 je jouais moi aussi dans le même théâtre, dans l’autre salle, aux mêmes heures. Le 4 je pouvais venir, mais le 5 je partais à Bruxelles, donc j’allais être fatiguée pour partir si j’y allais le 4. Je pouvais y aller le 6, à mon retour de Bruxelles, mais Léonore serait de retour, là elle était en vacances avec son père, et la pièce était sûrement trop longue pour l’emmener le 6. J’hésitais ». Vous sentez l’urgence, la tension, la nécessité de ce passage ?

Et puis quel style ! Christine Angot, c’est la tentative la plus aboutie qu’on connaisse de faire revivre le langage petit-nègre : cinquante mots de vocabulaire, des tournures non-conformistes et des phrases ponctuées n’importe comment, à tel point qu’on se demande parfois si l’éditeur n’aurait pas dû mettre des sous-titres. Elle assume d’ailleurs pleinement son analphabétisme, qu’elle considère comme un gage de sincérité artistique : « Quand j’écris, je vois bien moi, la syntaxe n’a pas d’importance ». Tu m’étonnes. Le plus navrant, c’est qu’il y a encore eu en cette rentrée des gogos pour croire Christine Angot lorsqu’elle dit qu’elle est écrivain (elle le répète toutes les trois pages, comme si elle avait elle-même besoin de s’en convaincre -on la comprend), pour se laisser abuser par le tapage médiatique qui a accompagné la sortie de son livre, pour penser que ces 400 pages de bouillie incompréhensible sont de la littérature. Mais Angot n’est pas un écrivain, c’est un spectacle. Un spectacle qu’on contemple avec la même fascination consternée que lorsqu’on voit une folle hurler dans un couloir de métro ou deux ivrognes se battre dans la rue. N’écoutez pas les ravis de la crèche qui vous parlent de ce navet comme du « grand livre » de la rentrée : s’il faut absolument que Christine Angot soit « grande » quelque part, c’est toujours dans l’imposture.