S’attaquer de front à un monument du cyberpunk, Six millions dollars man, non pas tant le roman original de Martin Caidin (Cyborg, 1972) dont personne hélas ne se souvient plus, mais sa déclinaison TV, L’Homme qui valait trois milliards, Steve Austin alias Lee Major, avant sa période Colt Silvers, il fallait oser. C’est pourtant le thème du nouveau roman de l’Allemand Andréas Eschbach, Le Dernier de son espèce (Der letzte seiner Art, 2003), chez l’Atalante.

On lui avait promis de devenir surhumain, il est quasi invalide. Il se voyait déjà super héros sous les sunlights, il vit désormais comme un reclus en Irlande. Même sexuellement, c’est loin d’être ça : « Les hommes qui m’ont fait tel que je suis aujourd’hui… bêtement, ils n’ont oublié que deux choses : mon poids (un quintal et demi) et ma force (comparable à celle d’une pelleteuse). Deux données, face auxquelles l’orgasme, lui, me ferait perdre tout contrôle. Une petite mort pour moi, mais une mort certaine pour ma partenaire ». C’est la déprime assurée et personne à qui se confier, Secret-Défense oblige. Duane Fitzgerald est au bout du rouleau. Soldat d’élite en retraite anticipée, il n’aspire plus qu’à être un « Homme tranquille », façon John Wayne dans le film de Ford, mais ses anciens employeurs, le Pentagone, la CIA, etc. ne l’entendent pas ainsi, qui semblent d’un coup s’intéresser de nouveau à lui, non seulement pour ce qu’il était, l’un des sujets expérimentaux du fameux projet Steel man, mené par l’armée américaine sous la présidence Reagan, mais surtout pour ce qu’il est devenu, « Le dernier de son espèce », une pièce de musée, un dinosaure, le témoin d’une époque révolue.

Eschbach tourne sciemment le dos au spectaculaire que le traitement d’un tel sujet pouvait laisser supposer, c’est son droit, mais c’est dommage. Forcément on reste un peu sur sa faim. Sénèque appelé à la rescousse n’y pourra rien : des expériences scientifiques en laboratoire pour créer le super soldat US, rien de nouveau sous le soleil. Le corps humain boosté de l’intérieur, à grands coups d’implants, de nanotechnologies, le squelette en Adamantium, le corps qui souffre, le moral à zéro, le blues du super champion privé de son humanité… Qui n’a jamais n’a jamais lu un seul comic de super héros lève le doigt ?

Révélé en 1995 par le très étrange Des milliards de tapis de cheveux (Die Haarteppichknupfer), l’auteur avait réussit son petit effet de surprise. De là à le vendre comme rien moins que le renouveau de la science-fiction allemande à lui tout seul, après des années et des années de Perry Rhodan, c’était tentant et alléchant, et beaucoup s’y sont laissés prendre. Jesus vidéo, thriller calibré grosses ficelles, venait confirmé cette bonne impression première, sans toutefois susciter d’enthousiasme délirant, on aurait dû se méfier. Qu’en est-il, aujourd’hui ? De SF allemande, on n’est guère plus avancé qu’avant. Quant à Eschbach, rien à dire, il maintient le cap : moins inspiré que les grands noms de la SF anglo-saxonne, il vaut toujours mieux que le commun des auteurs français.