Surfant sur la mode des super-héros old school, la société Hollywood Comics, qui édite aux Etats-Unis des classiques du fantastique et de la science-fiction hexagonale (Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Paul Féval, etc.), a lancé en 2004 un nouveau département, baptisé Rivière Blanche, dont la vocation est d’éditer, en France, des romans SF ou fantastiques français, dans l’optique résolument nostalgique des années 60. Rivière Blanche rend aujourd’hui hommage à l’un des derniers grands romanciers de la mythique collection « Anticipation » du Fleuve Noir, André Caroff, avec la parution simultanée d’un inédit, La Couronne de fer, et du premier volume de l’intégrale des sinistres exploits de Madame Atomos. Brrrr…

Flash back : on mesure mal l’immensité du vide qu’a laissé l’arrêt de la collection « Anticipation » des éditions du Fleuve Noir en 1997. Certes, cette littérature de gare n’a jamais été très réputée. Même au sein du petit landernau de la SF, il a longtemps été de bon ton de faire la grimace à la vue de ses petits livres aux couvertures criardes, imprimés sur du mauvais papier, aux histoires simples, pas toujours très bien écrites, pas particulièrement progressistes non plus (en SF, comme en politique), étrangères à toute fiction spéculative, encore moins une sorte de new-wave à la française. Et pourtant, la collection, de par sa longévité même (46 ans et quelques 2002 titres !), symbolise l’Age d’or de la SF française.

Quand la fusée « Anticipation » décolle (en 1951), l’ambiance des premiers titres puise directement ses racines dans les fascicules d’avant-guerre, dans les romans de Maurice Renard, Rosny Ainé, et des nombreux polygraphes du feuilleton populaire (Jean de la Hire, Léon Groc, Magog etc.) : robots, savants fous, voyages dans l’espace, dans l’infiniment grand ou petit, en sont les invariables ingrédients. Jimmy Guieu y apporte bien une (petite) touche de modernité avec le thème de l’ufologie, et la traduction des Perry Rhodan suscite à son tour une pléthore subite d’aventures spatiales, mais tout cela reste terriblement vieillot et poussiéreux (certains livres étaient déjà -scientifiquement parlant- complètement obsolètes au moment de leur sortie), naïf et franchouillard. « Anticipation » était à ce point un anachronisme décalé des préoccupations des auteurs anglo-saxons, que s’en dégage aujourd’hui, à l’image des couvertures de Brantonne, le Douanier Rousseau des étoiles, un charme typique, une sorte de rétro-futurisme abstrait, à base de couleurs vives et baroques, de charabia pseudo-scientifique et de mœurs extraterrestres luxuriantes.

Avec plus d’une soixantaine de romans écrits entre 1961 et 1985, André Caroff est un des auteurs maison du Fleuve. Né André Carpouzis, en 1924, il exerce diverses professions (coursier, représentant, chauffeur de taxi, etc.), avant de publier son premier roman dans la collection « Spécial police », dont il devient rapidement l’un des piliers, puis d’intégrer la collection « Angoisse » aux célèbres couvertures « tête de mort » signées Michel Gourdon. A partir du milieu des années 60, l’accroissement progressif des parutions en « Anticipation » -de deux à sept titres mensuels- contraint l’éditeur à inciter les habitués des autres collections à écrire de la science-fiction. Qu’à cela ne tienne. De toute façon, pour Caroff, le rapport à la science est des plus flous. La maîtrise de l’atome permet tous les artifices du fantastique : zombies radioactifs, araignées géantes, rayon de la mort, soucoupes volantes, etc.

Madame Atomos est restée sa création la plus célèbre. Cette savante de génie, d’origine Japonaise, de son vrai nom Kanoto Yoshimuta, est une incarnation moderne du péril jaune cher à Sax Rohmer (Fu Manchu). Elle voue une haine indicible envers les Etats-Unis et n’a de cesse de vouloir détruire ce beau pays et ses habitants pour venger la mort de son mari et de ses enfants survenue lors du bombardement de Nagasaki. Le ton est donné dès le premier volume de la saga, La Sinistre Madame Atomos (1964), où elle utilise une armée de morts-vivants pour commettre une série d’attentats particulièrement sanglants. Finalement, Madame Atomos lance une attaque généralisée contre New York et il faudra tout le courage et la sagacité des meilleurs G-Men du FBI pour (provisoirement) en venir à bout.

Il y a dans ce formidable serial, aux multiples rebondissements, coups de théâtre acadabra-dantesques, Patatras ! Je te tiens Atomos ! qui compte pas moins de 18 volumes (également adapté en bande dessinée par les éditions Artima / Arédit), suffisamment de folie, de paranoïa Nord-Sud et de sadisme grand-guignol pour satisfaire les plus blasés des lecteurs.

Les éditions Rivière Blanche ressuscitent la super vilaine aux yeux bridés, trente ans après sa mystérieuse disparition. Les trois premiers épisodes sont repris en intégrale (agrémentés d’une préface savante et d’une nouvelle inédite). De quoi patienter en attendant les nouveaux épisodes promis, qu’on espère en prise directe avec l’actualité mondiale, pour le retour d’une Madame Atomos plus contemporaine que jamais, relookée à l’aune du 11-Septembre.