« Politiquement incorrect » : le mot est lancé. Le premier roman d’Alessandro Piperno débarque en France précédé d’une aura sulfureuse. Avec les pires intentions raconte la saga des Sonnino, famille juive de la bourgeoisie romaine. Trois générations se succèdent sur fond d’holocauste et de névrose. Mais loin de vivre dans le souvenir de la Shoah, « ces juifs de la Rome comme il faut avaient été littéralement contaminés par l’épidémie d’allégresse de l’après-guerre et avaient remplacé -avec quel sens de l’improvisation !- la terreur de Benito Mussolini et Adolf Hitler par la vénération mimétique pour Clark Gable et Liz Taylor », ironise Daniel, le petit-fils et narrateur. Survivants, Bepy et Ada se sentent avant tout « créditeurs », s’accordant une « immunité plénière spéciale  » fondée sur la  » conscience d’un droit à la réparation ». Le cynisme d’un tel parti pris peut déranger. Mais loin de calmer le jeu, Piperno attise le feu. « Les Sonnino ne sont pas de ces juifs Israël avant tout. Israël n’est rien d’autre qu’un des surgeons de la Mémoire Juive qu’ils considèrent avec méfiance ».

Certains commentateurs italiens ont taxé Piperno d’antisémitisme. Ne nous méprenons pas : le romancier ne cherche ni à bafouer l’histoire, ni à tourner en ridicule la communauté juive. Il brocarde avec une jubilation insolente les aspirations et les mesquineries matérialistes d’une famille de parvenus juifs. A travers son oeuvre, Piperno revendique avant tout son appartenance à la lignée des provocateurs. La polémique transalpine a des airs de malentendu : le problème est ailleurs. Le choix de la saga permet au romancier de faire montre de ses talents de portraitiste. Daniel célèbre ainsi chez son grand-père « son aptitude de grand artiste pop à transformer la merde en or », considère son père (géant albinos cosmopolite) comme « la version supérieure du juif errant » ; sa mère, « la fermée habillée avec l’affèterie coincée d’Audrey Hepburn », « devenue adulte et malheureuse, verse sa coupe de frustrations dans le jeune récipient de ses enfants », son oncle s’exile en Israël pour « embrasser avec enthousiasme le traditionalisme juif ». Quant à Daniel lui-même, il se présente en déclinaison paradigmatique du loser érotomane et « demi-juif furieux contre les juifs ».

Indéniablement, Piperno a un sens aigu de la formule. Hélas, le brio clinquant s’accommode mal de la longueur, d’autant que la seconde partie du roman vire au mélo ironique. Le narrateur noircit des pages à raconter les historiettes d’une jeunesse aussi dorée que médiocre, et nous émoustille en retardant sans cesse la révélation du trauma post-pubère responsable de son naufrage annoncé. Alors on s’accroche, courageusement, dans l’espoir ultime de ressentir une bouffée d’empathie pour notre malheureux adolescent attardé. La déception n’en est que plus cruelle : en lieu et place d’une scène croustillante, il faudra se contenter d’un final à l’érotisme gentiment convenu. Avis aux amateurs de petite culotte et autre touche-pipi.