A l’heure où toute une génération de seniors s’apprête à découvrir la Nintendo DS, Yoot Saitô renvoie le prof Kawashima et ses sbires à leur copie. Le voilà, le véritable brain-training. Impossible en effet de passer sous silence les efforts de coordination intellectuelle et physique que nécessite la pratique d’Odama. Condamné jusqu’ici au rôle de figurant d’E3, ce titre fou part à la conquête de territoires dont on ne soupçonnait même pas l’existence, à mi-chemin entre le wargame à la Kessen et le flipper numérisé tendance Naxat / Red. Objectif : amener une cloche et ses deux porteurs jusqu’en haut du tableau, tandis que l’armée adverse tente par tous les moyens de freiner votre avancée. Qu’il s’agisse d’ouvrir des barrages, de poser des échelles ou de terrasser le général ennemi, chaque table s’organise comme un puzzle rudimentaire auquel on aurait greffé un bon vieux flip’. Armé de vos flippers et d’une gigantesque boule de pierre, vous avez toutes les cartes en main pour semer la terreur dans les rangs ennemis.

La force d’Odama, c’est d’avoir su fusionner deux genres au sein d’un même espace. Vous vous attendiez à un pinball mâtiné d’une pincée de stratégie ? A une ambiance médiévale prétexte qui donnerait un petit coup de fouet aux ventes du titre ? Ce serait se méprendre sur son honnêteté. L’aspect wargame d’Odama a beau être rudimentaire, il requiert tout autant d’attention que les trajectoires de votre boule. Quitter ses troupes des yeux pendant plus de vingt secondes, c’est s’exposer à une sanction immédiate et sans appel. Odama est un titre qui vise au bombardement d’informations, à la pulvérisation des sens. On y voit beaucoup trop de choses qui se déroulent beaucoup trop vite. Ici, chaque gameplay monopolise un périphérique dédié. Le joueur doit donc pouvoir contrôler de concert les deux aspects du titre, donnant des ordres à ses soldats (avancer, encercler, à gauche, à droite) par l’intermédiaire du micro et jouant des flippers à l’aide de sa manette. Mais c’est sans compter sur les points de jonctions flipper / wargame, certaines commandes ayant été choisi pour jouer sur les deux fronts. L’analogique gauche, qui permet d’orienter la table pour modifier la trajectoire de la balle (aspect flipper), déplace également une cible qui permet d’envoyer de la nourriture aux troupes démoralisées (aspect wargame). Si vos soldats affamés ont besoin de riz en bas à gauche de l’écran et qu’incliner la table dans cette direction met votre boule en danger, que se passe-t-il ? Vous mourez. Vous mourez par time over, dès le coucher du soleil. Vous mourez parce que vos flippers sont immobilisés par une charge de cavalerie. Vous mourez tandis que vos soldats, dominés par la peur, battent en retraite sans demander leur reste. Dans Odama, vous l’avez compris, on meurt beaucoup.

Bizarre, déstabilisant, Odama est un monument à l’amour vache, un jeu dont le game over renforce votre détermination. On y meurt souvent, c’est vrai, mais toujours de sa propre main, parce qu’on n’a pas su prendre en compte l’un des nombreux éléments de ce titre hyperactif. Et comme pour contrebalancer son côté implacable, il verse sur le feu une bonne rasade d’humour nonsense, de ses théories fumeuses sur l’étymologie des kanjis Nintendo aux commentaires amers de vos hommes qui n’hésitent pas à remettre en doute vos capacités de chef de guerre. Sous ses abords absurdes, Odama est une expérience hypnotique, intense comme du F-Zero en ligue Master. Un jeu expérimental, tout entier tourné vers la notion de contrôle et la perte de repères, qui ne s’embarrasse pas de modes multijoueur ou d’à-côté distrayants. Un laboratoire behavioriste à grande échelle, qui s’engage à nous faire oublier, sans prendre de gants, trente ans d’automatismes de jeu vidéo.