Je me souviens clairement du jour où j’ai terminé Mario 64. J’avais attendu de me réserver l’après-midi seul pour en voir la fin. J’avais lutté pour les avoir ces cinquante étoiles. Je méritais une récompense. Je m’attendais à une haie d’honneur ou à un grand barouf, à quelques chose de triomphal. Mais non, tout ce que j’ai eu c’est un écran fixe me montrant Peach et Mario sur un gâteau. Un foutu gâteau orné d’un « bravo » ou « merci d’avoir joué ». Bref, un truc déprimant, vite expédié et insultant mon effort. Quel rapport avec Katamari ? Quelque chose d’assez rare dans le jeu vidéo. Quelque chose comme un pur élan de générosité.

Katamari, le jeu dont le but est de faire grossir une boule en la poussant sur des objets plus petits qu’elle, aurait pu se contenter de peu : quelques niveaux sympas, une bonne maniabilité, une interface sobre. Et tout le monde rentre chez soi. Car c’est ainsi que se présente la plupart des jeux qui ose imposer un geste nouveau : se reposer sur la surprise qu’ils provoquent, le temps d’adaptation qu’ils nécessitent. Seulement We love Katamari est une réaction. Celle d’un concepteur, Keita Takahashi, lassé des suites à répétitions et du peu de renouvellement de l’industrie du jeu vidéo : « Je ne joue plus au jeu actuels parce qu’ils ne sont plus assez amusants ». C’est dans ce « plus assez » qu’il faut chercher une explication à l’incroyable foisonnement de We love Katamari. Sa bienheureuse surenchère. Car c’est bien toute la société japonaise qui est ici inventoriée sous la forme d’objets de consommation sur lesquels on fait rouler sa boule. Lors d’une partie, le joueur passera successivement son katamari sur des punaises, une gomme, un sashimi, des trombones, un téléphone portable, un magazine féminin… puis plus tard, lorsque la boule aura pris un peu plus d’ampleur, sur des origami, des bouteilles de saké, des jeux électroniques, des salarymen stressés ou des bozozokus (l’équivalent de nos bon vieux blousons-noirs). Chaque objet ramassé provoque un bruit souvent stupide transformant l’accumulation soudaine d’objets en chorale sonore hilarante. Concert-chaos aussi jouissif qu’une fusillade dans GTA ou un carambolage monstre dans Burnout, auquel s’ajoute l’effet visuel de plus en plus impressionnant d’une boule au final plus destructrice qu’un monstre de la Toho.

L’interface témoigne elle aussi d’une imagination débridée, à l’abri des conventions. Oubliez les menus scolaires et les interfaces rébarbatives. Chaque amalgame d’objets roulés est transformé en planète et envoyé dans le cosmos. Immense et pénétrant tableau de constellations que l’on peut visiter à loisir bercé par un tango lointain. Plus terre à terre, l’écran de sélection des missions est une immense prairie où l’on trouve aussi l’inventaire des objets, le classement du mode multi sous la forme d’un herbier. Autant de trouvailles aussi poétiques que totalement gratuites. Une avalanche de petits détails, bien pensés, simplement. Des détails inutiles mais généreux qui répondent à la grammaire des jeux vidéos. A ses tics de langage et à ses problèmes récurrents. Aux problèmes du joueur donc. « Nous n’aimons pas les temps de chargements… Nous ne savons pas bien pourquoi mais cela à quelque chose à voir avec l’ennui. Et la peur du temps qui passe », dixit un éminent personnage du jeu. En réalité, la véritable star du jeu dont nous ne tairons pas plus longtemps l’identité, c’est Le Roi du Cosmos. En dehors de la pertinence scientifique qui consiste à faire du Roi du Cosmos le promoteur d’un gameplay « gravitationnel », Takahashi légitime aussi sa place en tant que créateur, ce grand monarque débonnaire et humaniste comme un parfait double infiltré de Takahashi. Ainsi que la meilleure réponse à la question : « je viens d’inventer un gameplay absolument nouveau, comment puis-je humblement le présenter ? ». Takahashi a choisi la dérision et l’amour du prochain. Pose bobo ? Cynisme lounge ? Bien sûr que non.

We love Katamari est un jeu qui, tout entier, veut offrir au joueur une expérience exaltante, drôle et jouissive. Un jeu qui une fois terminé ne peut se résoudre à dire adieu, quitte à se perdre en génériques grandiloquents et bonus-quests improbables. Par peur de ne pas avoir assez donné.