Il y a deux ans, Trine se présentait comme un nouvel idéal de plateforme liant respect aux élémentaires du genre (énigmes, adresse et combats) et reprise d’un héritage raréfié. Avec sa possibilité d’échanger, à tout moment, de personnage parmi trois classes, le jeu se réclamait de l’illustre Lost vikings et ses choix multiples. De cette tripartition stéréotypée (le guerrier pour le combat, la voleuse pour les phases d’adresse et le magicien pour soulever ou créer des objets promontoires), la progression versatile du jeu trouvait alors un équilibre parfait. Enivré de son succès, Frozenbyte passe aujourd’hui la vitesse supérieure, avec un deuxième épisode qui, sans bousculer ses préceptes, possède désormais l’ambition de transformer un concept en fresque dispendieuse.

Il serait vain de louer le jeu pour sa seule magnificence de décors et d’effets chromatiques.L’ensemble atteste certes d’un travail artisanal somptueux, soucieux de livrer, pour chaque profondeur de champ, un geste d’orfèvre du décor animé. Seulement, cette virtuosité reste à nuancer. D’abord pour son style heroic fantasy, assez banal et qui reste fatalement affaire de goût. Ensuite pour sa paresse à ne faire de son décorum que le support d’une vague distanciation ironique (humour et atmosphère en droite lignée de Pratchett et Gaiman), sans jamais servir de socle solide à un scénario justifiant son enchaînement conventionnel et linéaire de casse-tête. Triste constat pour un jeu qui voulait justement se hisser vers l’aventure narrative.

Sa réussite, si elle se trompe de but, n’en reste pas moins indéniable. Le talent de Trine repose moins sur sa profondeur (comme celle de son plan, toute illusoire) que son adaptabilité constante aux initiatives de son challenger. Avec un level design souvent échelonné sur plusieurs voies, le jeu fait de ses trois approches trois miroirs comportementaux mis à l’épreuve du puzzle-gaming. Si les classes du guerrier et de la voleuse restent primordiales et en appellent aux réflexes les plus classiques du joueur de plateforme, elles ne possèdent pas l’once d’extravagance contenue dans celle du mage. Avec sa capacité à créer ex-nihilo des formes tangibles, l’éventail de choix entre tactiques et lois fonctionnelles de l’environnement devient vertigineux. Il faut alors reconnaître la grande qualité d’un moteur physique apte, sans être révolutionnaire, à jouer un rôle aussi conséquent dans la réflexion. Remarquablement nivelée dans son rapport aux choses, la physique est toujours affaire de calcul : gravité, poids des objets empilés, temps de leur chute une fois lâchés dans l’air (pour sauter dessus et franchir un précipice), les recours n’ont de limite que l’imagination de leur manipulateur.

Non seulement, et c’est en cela qu’il se rapproche du grand Portal 2, Trine encourage l’effort constant d’une réflexion instinctive plutôt que cérébrale, mais il crée surtout l’illusion d’un gameplay émergent, le jeu ne donnant que très peu d’indice à chaque épreuve. Plus d’une fois, la construction d’une tactique se fonde sur l’échafaudage de théories absurdes, aux antipodes de la logique unitaire d’une énigme. Posant un flou génial sur la conception de ses niveaux (est-ce notre libre-arbitre ou un choix orienté par la structure du puzzle ?), le moteur physique devient gameplay entêtant.

Plus encore, il apparaît comme une abîme de fantasmes, graal de tout jeu vidéo. Car pendant quelques heures, l’esprit n’aura pas fait que cogiter. Trop heureux de troubler la physiologie d’un monde et ses postulats scientifiques, il se sera enfin émancipé de ses principes cartésiens, pensant toujours plus fort : « Ta gueule, Newton ! ».