Il y a quelque temps, Sega est mort… Suicidé pour avoir eu l’outrecuidance de sortir une bonne console avec de bons jeux, innovants, beaux, immersifs, originaux. Ecrabouillé par le rouleau-compresseur de la concurrence et par leur propre stratégie marketing -inexistante-, Sega a quitté le rang des constructeurs pour entrer dans celui des « simples » éditeurs multi-plates-formes. Pour quel résultat ? Une ébauche de stratégie commerciale un peu schématique -en gros, licences à fort potentiel commercial pour la PS2, jeux nunuches pour le Cube, jeux plus ou moins expérimentaux pour la Box-, une reprise feignante des anciens hits de la Dreamcast (Shenmue 2, Skies of Arcadia, Phantasy star online), des titres plus ou moins controversés (GunValkyrie) et quelques plantages… Sega est bel et bien mort, l’encéphalogramme créatif plat, mais on attend sa résurrection avec impatience. Hélas, ce n’est pas avec ToeJam and Earl III, troisième épisode d’une série rescapée de l’ère Megadrive que le retour en fanfare de l’éditeur au hérisson bleu va pouvoir s’esquisser. On n’ira pas jusqu’à dire qu’on attendait le jeu comme une révélation, mais on ne prévoyait pas quelque chose d’aussi insignifiant.

Extra-terrestres hip-hop descendus sur Terre, sur l’ordre du grand Funkopotamus Lamont -un asticot bleuâtre ridicule qui se prend pour James Brown-, ToeJam, Earl, et Latisha doivent « re-funkifier » la planète et retrouver les vinyles sacrés de Lamont. Le jeu se décompose donc en une série de hubs renfermant plusieurs niveaux se débloquant au fur et à mesure, chaque niveau renfermant peu ou prou le même type de mission : « funkifier » les terriens afin de les rendre moins agressifs, débloquer de nouveaux items, faire le livreur pour un alien affublé d’un déguisement ridicule, etc. L’ambiance funky appliquée à d’improbables aliens jouant les racailles est plutôt réussie, mais c’est surtout la vision déviante de l’humanité qui frappe dans ToeJam & Earl III : créatures étranges et psychotiques, fillettes hystéros, cheerladers enragées, ouvriers fringués Village People, bébés schizos, lapins ninjas, j’en passe… Un monde drôle mais effrayant, presque dérangeant, dans lequel nos trois aliens paraissent étonnamment normatifs.

Malgré tous les efforts fournis par les développeurs pour pondre un titre qui se distingue de l’imperturbable chromo kawai-criard qui caractérise la majorité des jeux de plates-formes, la sauce ne prend pas. Loin d’un accident industriel de l’ampleur de Blinx, ToeJam & Earl III ne parvient pas à maintenir son pouvoir d’attraction sur la durée. Ses saillies loufoques-gangsta finissent par passer inaperçues et son concept devient rapidement systématique et répétitif. Grâce à une maniabilité sommes toutes correcte, on ne souffre jamais vraiment, le jeu n’étant pas particulièrement corsé niveau difficulté. Par contre, on s’emmerde très vite. Les missions se suivent et se ressemblent, et comme elles occupent un terrain d’action de plus en plus vaste, on finit immanquablement par saturer. Ni désagréable, ni détestable, ToeJam & Earl III a loupé le coche : alors qu’il fait tout pour se faire remarquer, il finit par ne provoquer qu’une indifférence polie.