Après des années de tâtonnements et de réussites embryonnaires, Telltale Games a abouti sur The Walking Dead, chef d’œuvre immédiat et définitif, nouvelle pierre angulaire d’un jeu vidéo toujours plus enclin à lorgner vers une narration en serial. Il fallait sans doute ce long travail d’écriture, de brouillons, de jeux semi réussis (les Sam & Max), ratés (Retour vers le futur) ou pourris (Les experts), pour que le studio américain atteignent cette pleine maturité érigée sur les fondations de LucasArts. En attendant une seconde livraison de Walking Dead, Telltale doit transformer l’essai et prouver sur un autre titre que sa réussite ne tenait pas qu’à une rencontre miraculeuse. A The Wolf Among Us de s’y plier. Toujours en quête d’un matériau d’origine à transformer, c’est cette fois Fables, un comics (encore), qui lui sert de tremplin et d’univers, aux moyens des mêmes mécanismes de récit interactif livré au compte goutte sur cinq épisodes. A l’heure où la télévision et Netflix préfèrent laisser le spectateur aller à son rythme, le jeu vidéo retrouve quelque chose des premiers temps du cinéma et d’un Feuillade en espaçant la diffusion de ses épisodes sur plusieurs mois. De là à y voir un bel anachronisme, le pas est facile à franchir tant, tellement, The Wolf Among Us renoue avec le goût du serial de la belle époque.

 

Telltale a compris que pour pleinement justifier sa proposition de gameplay (l’implication du joueur dans les rouages de l’intrigue à coups de QTE), il fallait non seulement un univers fort, des situations stimulantes, mais surtout des personnages crédibles. Au premier épisode, difficile encore de dire si The Wolf Among Us pourra concurrencer les séismes émotionnels de Walking Dead, tant celui-ci repose sur un dépouillement radical de tout ce qui nous raccroche au monde. D’autant qu’en croisant film noir et conte de fée, Fables s’ancre ailleurs, dans un paysage a priori plus artificiel, postmoderne, renfermé sur une pure relecture de genre. Le Marlowe de Chandler y devient un shérif loup-garou ; Blanche Neige son assistante énamourée ; Tweedledum & Tweedledee des privés douteux ; le bûcheron du Chaperon rouge un potentiel tueur en série. Tout ça dans une ambiance en clair obscur, saturée de couleurs clinquantes et nimbée d’une musique hypnotique. Le polar, ses codes, son obsession urbaine, sa tension sexuelle, ses paumés, sa crasse, ses histoires de meurtre, ses jeux de pistes, tout y passe, truffé de figures monstrueuses, de grenouilles aux allures de petits immigrés irlandais, sans que jamais la suspension de l’incrédulité ne soit brisée. Cette atmosphère, parfois fascinante quoique échappant de peu au tour de force, est un formidable décor pour un jeu dont les rares limites (les phases de point’n click qui n’évoluent guère, certains interrogatoires un peu laborieux) sont encore une fois balayées par sa croyance dans les forces de la fiction. A suivre.