Des plénitudes déambulatoires de Skyrim aux scories temporelles de Final fantasy XIII-2, l’année 2012 aura hissé le RPG à un degré de maturité tel que toute autre tentative se fait l’effet d’un sacerdoce. Venant parachever ou initier – le jeu est déjà sorti il y a un an sur PC – cette belle cuvée, The Witcher 2 s’affiche d’abord comme une nouvelle rassurante : tout n’est pas encore joué. A première vue, rien de bien aguicheur : scénario labellisé « complots et trahisons en landes fantasy », decorum et bestiaire usagés, personnage imposé et non customisable. Adapté de La Légende du sorceleur d’Andrzej Sapkowski, le jeu adopte une même progression chapitrée, faite de niveaux géants mais fermés sur eux-mêmes, clairsemés de quelques quêtes secondaires. The Witcher 2 n’a donc rien d’un monde ouvert, il en est même sa négation, posture à l’encontre d’un esprit contemporain que même le RPG japonais n’ose plus trop contredire (FF XIII-2, encore). Mais cet autoguidage est une illusion : The Witcher 2 est bien là pour faire le ménage et déstabiliser tout joueur désabusé par le genre en le prenant à rebours de ses propres patterns de jeu.

Pure trivialité au demeurant, la permissivité anar ambiante, héritée de sa saga-mère, en est une première preuve. Brutal, sexué, The Witcher 2 affiche une maturité sans concession, où viennent s’échouer bon nombre de clichés sur la pudibonderie du médiéval-fantastique. A l’heure des scénarios entièrement dévoués au libre arbitre, celui de The Witcher 2 ose certes un récit verrouillé. Mais les nombreuses ellipses, emboîtements de points de vue, flash-back et flash-forward viennent rapidement briser sa linéarité, tout en accordant au joueur une latitude inattendue sur certains choix, jusqu’à changer le sens du scénario.

Résumer The Witcher 2 à un amalgame détonnant entre Game of thrones et un énième Livre dont vous êtes le héros, ne saurait rendre justice à l’ampleur de son remue-ménage. A l’inverse de sa progression sur rail, le gameplay offre une amplitude ludique remarquablement variée. En plus d’approcher le sadisme d’un Dark souls par l’adresse et l’abnégation requises lors des combats, The Witcher 2 fait de facteurs souvent marginalisés (magie et alchimie) son principal enjeu. Ensorceleur de son état, le héros doit fouiller décors et reliques à la recherche d’éléments alchimiques, puis planifier sa prise de potions et stimulants à effet temporaire pour garantir, devant la longueur de certains combats, une stratégie victorieuse. Synthèse de tous les archétypes du jeu de rôle, le héros de The Witcher est un concentré de subtilités qui font la beauté du genre, par cette abnégation mathématique qui s’incarnait autrefois dans un calcul de probabilité précédant tout lancer de dés.

Dans un genre qu’on croit avoir cerné depuis longtemps, le jeu de CD Projekt se pose-là, réac et objecteur à la fois. Malin, il a la finesse de ne pas s’ériger en réquisitoire méta ou révolutionnaire borné ayant trouvé LA bonne formule. Constellé de défauts techniques et autres aberrations de gameplay (dont une difficulté absurdement calibrée), il lui reste encore pas mal de chemin à faire. Mais, durant une dizaine d’heures, ses écarts aux sacro-saints commandements du genre auront tôt fait de dérouiller pas mal de vieux réflexes. Le doute n’a pas souvent bonne presse dans le jeu vidéo. Celui, diffus, qui agite The Witcher 2, n’en demeure pas moins salvateur : pourquoi encore jouer aux RPG ? Pour sa liberté ? Son incarnation totale ? Celle de The Witcher reste toute relative. Elle n’en possède pas moins la force d’une immense saga en gestation.