Comme ses compagnons d’infortune, Link est immortel. Et comme tous les immortels, Link n’attend même plus. Il est. Ce n’est pas grand-chose et c’est déjà beaucoup trop. Il ouvre un premier coffre. C’est un rubis. Il vaut vingt roupies. Il y a plusieurs types de coffres. Beaucoup renferment des bombes, des roupies, ou des clés. Certains renferment des quarts de coeurs, dont il n’a pas vraiment besoin. Au bout du quatrième quart de cœur, Link se sent plus fort. Cela ne signifie pas qu’il est plus capable. Simplement qu’il est plus résistant. Mais dans un jeu aussi facile que The Minish cap, à quoi pourrait bien servir un nouveau coeur ?

Link reprend son chemin. Il coupe quelques herbes folles et obtient un nouveau rubis. Mais la bourse de Link est pleine. Alors il erre, parle aux habitants, bombe les murs suspects et au prix de quelques efforts, trouve une plus grande bourse. Cela ne signifie pas qu’elle est plus utile. Le seul objet d’importance qu’il aurait pu acheter, Link le possède déjà. C’est un boomerang obtenu il y a bientôt deux heures. On lui propose de porter plus de flèches, plus de bombes. Il n’en a pourtant jamais manqué jusqu’à maintenant… Link est perplexe. Link possède de nombreux fragments de bonheur. Ce sont d’intrigants artefacts, destinés à réchauffer le coeur des habitants d’Hyrule. Ceux-ci possèdent chacun une moitié de fragment et attendent qu’on leur fournisse la pièce manquante. Il aide une petite vieille sur le marché. Quelque part, un coffre s’ouvre. Que peut-il bien contenir ? Un coeur, un rubis rouge, des coquillages ? Link s’ennuie. Son monde a peut-être tout donné, dispensé beaucoup trop de chaleur dans le cœur de millions de joueurs avant d’atteindre l’entropie avec ce Minish cap. De la saga, il retient surtout les codes. Il importe les villageois des épisodes N64, leur donne deux ou trois lignes de dialogue et s’en lave les mains. Il offre à Link un alter ego bavard pour vocaliser ses interrogations en la personne d’Exelo, comme le Lion Rouge avant lui. Les possibilités d’exploration offertes à chaque objet majeur amènent leur lot de coffres, ouvrent la voie vers le prochain palais. Tout est là. Il ne lui manque finalement qu’une âme.

Cette absence de foi, on la ressent d’abord dans l’inutilité flagrante des objets, ce goût de l’accumulation qui polluait déjà les plages de Mario Sunshine. Roupies et coquillages abondent sans vraiment faire sens. Zelda s’en fout, Zelda les brade : Hyrule est soumis à une dévalorisation galopante et on tombe sur un quart de cœur comme on descend chercher le pain. C’était déjà le cas avec The Wind waker et son océan criblé de coffres inutiles. Mais The Wind waker avait son importance, fut-elle symbolique. En prenant conscience d’elle-même, la saga jouait son va-tout avant le grand chambardement. On pensait conclure un cycle et s’offrir enfin au renouvellement. Minish cap est inoffensif et rétrograde. Et un Zelda rétrograde est un Zelda inutile. Comme le héros de L’Invention de Morel, le joueur doit trouver sa place au milieu de simulacres dans un univers désenchanté. Mais avec la meilleure volonté du monde, le joueur ne peut pas tout faire. A y chercher quelques émotions perdues en se persuadant d’avoir envie, il mord dans un tas de cendres. L’idée dominante de cet épisode, une modification des proportions censée dévoiler le monde sous un nouveau jour, sert surtout à renouveler des puzzles usés jusqu’à épuisement. Que dire alors de cette ambiance enfantine ? Si peu. Les petits minish sont simplement mignons. Tout ce Zelda est d’ailleurs fort mignon. Le mignon est la dernière pudeur d’un jeu qui n’a rien à raconter. Sa seule ambition était d’être un Zelda, et de ce point de vue, c’est très réussi. Le patron est respecté à la lettre : animation sublime, level-design irréprochable, ambiance sonore féerique… Miyamoto affirme avoir créé la série pour transmettre l’excitation qu’il ressentait durant l’exploration des grottes de son enfance. Dans Minish cap, on aura tout loisir de contempler l’ombre platonicienne du véritable Link.

Link a fait escale en ville, escale obligée avant le prochain palais. Sur la pointe des pieds, il penche la tête et contemple le fond d’un puit. Perdu dans son reflet, il soupire. Ce même visage d’enfant depuis bientôt vingt ans. Comme ses compagnons d’infortune, Link est immortel. Et comme tous les immortels, Link n’attend même plus. Son corps peut bien croître, enfler, se débattre en quête d’une nouvelle profondeur, il refuse de vieillir. Il manque de tomber, se rattrape au dernier moment… Il a peur. Ce n’est pas seulement l’angoisse d’une existence figée, non. C’est ce qui l’attend en bas, tapi au fond du gouffre. Quelques roupies de plus.