« Ceux qui s’adonnent aux RPG sont des joueurs dépressifs qui aiment s’asseoir seuls dans leurs chambres sombres et jouer à des jeux lents ». Ce troll passé à la postérité que nous devons à l’ex patron de Nintendo, Hiroshi Yamauchi, n’a pas résisté aux évolutions socialisantes du MMORPG. N’empêche : il y a toujours eu dans le goût pour le RPG quelque chose de l’ordre du renoncement, de l’isolement volontaire, du « contre la vie, contre le monde ». Une auto-soustraction au trivial contemporain (marqué par l’obligation du compromis, l’horreur du vivre ensemble) vers un paradigme chevaleresque, ses histoires en lignes claires et son investissement ascétique, donc sacré et chronophage. Au-delà du falbala des pièces d’armure, des châteaux massifs, des légendes et des contrées mystérieuses, c’est aussi toute une chimie des corps simples que la tradition RPG se complaît à remettre sur le tapis. Le feu bat la glace, l’eau bat le feu, la terre bat le vent (si si, je vous jure). De ce manuel de combat aux pages usées par plus de 25 ans de jeu de rôle au tour par tour et de ses conventions, Genius Sonority (développeur de quelques remakes de Dragon Quest sur DS et surtout de Mother/Earthbound étendard post moderne du genre), ne garde dans The Denpa Men que les motifs de base et force les joueurs misanthropes à physiquement sortir de leur antre. Mécanisme aussi perturbant que génial, l’unique moyen de se constituer une escouade de petits soldats est de capter par la 3DS des faisceaux d’onde Wifi (à cette occasion, on n’a pas hésité à pratiquer plusieurs heures de transports en commun, moyen le plus efficace pour multiplier les rencontres avec les petits êtres et leur pouvoirs variés).

 

Sous des atours enfantins trompeurs (Les Denpa Men tiennent aussi bien visuellement parlant des Pikmins, des Teletubbies des Miis, tandis que leur mode de capture et de « conservation » rappelle Pokémon), Nintendo décharne ainsi son RPG de tout enjeu dramatique ou narratif, concentre toute sa mécanique sur le principe de constitution d’équipe et la pare de raccourcis stratégiques ingénieux et accessibles, à des années lumières de la mécanique perplexifiante d’un Final Fantasy XIII par exemple. Mais qu’on ne se méprenne pas : il y aura du sang et il y aura des larmes. Si les premiers donjons font figure de tuto « pays joyeux des enfants heureux, des monstres gentils, oui c’est un paradis », les mobs et les boss plus avancés (l’épouvantable Démon de Glace) seront l’occasion de vilains génocides dans les rangs de vos soldats choupinets. Paradoxalement (et surtout pour un éditeur comme Nintendo qui a rarement failli à imposer de nombreux avatars doudou, Pokémon, Nintendogs, Pikmin, Animal Crossing…), le titre n’encourage que peu l’empathie ou l’affection envers les Denpa Men. Ils n’ont pas d’histoire, ils ne sont qu’une manifestation physique, visible mais symbolique des conditions de transmission de notre modernité connectée. Un piratage du réel à des fins ludiques. Une nuée de riantes équations.