Fatigue, sclérose, regards dans le rétro depuis le comptoir d’un diner : l’usure est donc devenue le fonds de commerce des vieilles idoles. Prenant la suite de plusieurs parodies sérieuses vues récemment (Jack Reacher)Dernier rempart promettait un retour génialement orgiaque (Schwarzenegger assaisonné au trash coréen), tout en présentant un risque de redite. Attachant, le geste s’inscrit sans le moindre cynisme dans le prolongement du travail de Kim Jee-Woon, fanboy porté par ses fantasmes d’Occident (Le Bon, la brute et le cinglé et J’ai rencontre le diable injectaient la déviance coréenne dans le western spaghetti et le vigilante). Mais comme tant d’autres bidules contemporains, le film se laisse déborder par un élan postmoderne un peu insistant. Jee-woon ne cherche pourtant pas à démanteler les codes ni à ricaner : il les célèbre amoureusement, à travers la résurgence d’une imagerie 80’s, recrutant des seconds couteaux canonisés (Peter Stormare, Luis Guzman).

 

Au-delà de cette ode s’imposant comme une évidence dans sa filmographie, le Coréen ne fait jamais que talonner les Expendables. Stallone faisait un très bon usage de ce ressassement viril, ménageant mélancolie du présent et hargne des premiers jours. Jee-woon, lui, reste dans une admiration sincère mais lisse – et surtout téléphonée. Un sermon du héros, shérif de Californie planqué à la campagne, cristallise cette propension à en faire des tonnes : « pas la peine d’aller à Los Angeles. J’y ai fait mon temps. Là-bas, on ne s’intéresse qu’aux apparences ». La messe est dite : Jee-woon se rêve en sauveur rapatriant un champion en pré-retraite dans son vrai chez-lui, celui du genre et de l’Americana.

 

Flagada, shooté aux arômes décaféinés, Schwarzenegger accomplit le job, avec la force tranquille déjà à l’œuvre dans le second Expendables. C’est réjouissant, mais la nécessité de cette énième réinvention de l’acteur, dont le film fait son attraction principale, reste un peu douteuse. Pourquoi s’échiner à subvertir ou remodeler la persona de celui qui est par essence, depuis l’origine, un monstre postmoderne ?  Sujet de fascination documentaire, sinon bête de foire (Pumping Iron), puis jouet musculeux des années 80, Schwarzenegger avait depuis longtemps mué en Schwarzie, ce dinosaure gentil et familier dont on s’amusait à chercher la gaucherie fragile (c’était l’ambition d’Un Flic à la maternelle ou de Junior dès les années 90). Ici les « couches » du personnage s’entassent, et on peine à s’étonner de cette puissance amoindrie. D’autant que Terminator 3 avait déjà poussé à son comble l’érosion de ce corps, alors littéralement détraqué. Mieux que le cinéma, les clichés paparazzis s’étaient également chargés de crever le mythe en exhibant les pneumatiques affaissées du gouvernator.

 

Sur cette question, le film réussit tout de même une parade aussi habile que roublarde. Alors qu’en apparence, Schwarzenegger est « le dernier rempart », la solution de secours avant la débandade, on comprend que le colosse est en fait le seul recours imaginable. Le baroud d’honneur du vieux lion ne fait que démontrer sa vigueur. Pour arrêter une teigne lancée sur la route avec ses otages (McGuffin vite oublié), le shérif mobilise l’artillerie lourde des années Joel Silver: gunfights, courses de bolides, de vieux tacots, combats à mains nues… Le dispositif se déploie pour tracer l’ennemi, damant le pion aux forces de l’ordre hypermodernes qui se cassent les dents. On vise presque ici un effet gaguesque à la Chuck Jones: tous les pièges savants font chou blanc, et ce sont les bonnes vieilles années 80, poussiéreuses, qui neutralisent le fugitif – Kim Jee-woon aurait d’ailleurs été capable de creuser cette veine cartoonesque, de tourner un épisode malade de Bip Bip et Coyote. Le rôle du poursuivant serait alors tenu par le fameux roadrunner, Géocoucou infaillible et insupportable de malice. Sous ses airs penauds, on lit cette même malice dans les yeux de Schwarzenegger, au final bien plus roadrunner que vieux coyote délavé. Où l’on voit que les briscards d’hier ont trouvé le moyen d’asseoir, derrière une façade de nostalgie éreintée, leur éternelle suprématie.