Il faut peu de choses pour comprendre l’échec du film de Stephanie Murat. Un calendrier y suffit : Max est un conte de Noël qui sort fin janvier,  après l’Epiphanie, la trêve des confiseurs et les vacances scolaires. C’est dire à quel point le distributeur y a cru : un film supposément enchanté programmé sur les écrans quand la magie s’en est allée, les sapins en plastique ont retrouvé leurs placards, et les enfants le chemin de l’école. Ne restent qu’un peu de neige fondue, des restes froids, et Max donc, qui est à la fois tout cela et pire encore.

 

Max vaut pour Maxime, une petite fille qui vit seule avec son père. A l’approche de Noël, l’enfant décide de lui offrir une dame de compagnie pour prendre soin de lui, et un peu d’elle. Quand un personnage aborde l’enfant, il lui demande de suite où se trouve sa mère. A chaque fois, Max répond sans hésiter qu’« elle est morte au ciel ». Il faut dire que Max n’a qu’une fonction : orienter le film, nous guider dans ses clichés et aller au plus vite à l’image attendue du couple enfin formé. Tout le film est ainsi, pressé d’en finir et de franchir les cols de son critérium narratif. Ce n’est pas qu’il va vite, c’est qu’il choisit des lignes droites, sans descente ni sommet. C’en serait presque abstrait s’il n’y avait cette espèce de naturalisme français qui scotche sur tous les fonds de décor du social en carton pâte, de la misère en aggloméré, du pôle emploi et de l’aide sociale. C’est donc un film qui ne s’embarrasse plus de rien, écrit et tourné en mode automatique, où la musique tient lieu de mise en scène. Pour un plan sourire, un  plan larme et puis quelques notes de piano jouet qui permettent de conclure. A la fin, on ne supporte plus l’instrument. Si on en croise un, on l’écrase. Les enfants sont prévenus.

 

Un mot du casting, tout de même. Le père, c’est Joey Starr. La prostituée, c’est Mathilde Seigner. La petite fille, c’est une petite fille. Il y a aussi Jean-Pierre Marielle qui bougonne, répète « fiston » à toutes les phrases puis rentre dans sa caravane hors champs en attendant son chèque. A quoi sert-il au juste ? Il est comme le format scope, il fait cinéma dans ce marasme pensé pour la télévision. Le casting se sert ainsi des réputations gagnées dans le poste pour jouer du contraste avec les rôles : le fauve Joey Starr révèle sa nature sensible de veuf éploré, la poissonnière des plateaux Mathilde Seigner cache un cœur d’or et un fond de pouliche (le film la présente littéralement hennissante). Puis vient l’accroche, aisément mémorisable. « Un film, c’est un pitch » dit d’ailleurs Thierry Ardisson, cinéphile et coproducteur de l’objet. Autour, on jette quelques mots simples, comme ceux qui ont été adressés à la presse en amont de la sortie du film pour qu’elle communique dessus : « humour et joie de vivre », « amour et séduction », « tristesse et mélancolie », « tendresse et affection ». On se croirait à un séminaire de dianétique où on vous fait les poches pendant que vous posez votre cerveau sur la table. Car de cerveau, nul besoin, il faut juste des manières. Autour de ces mots qui résument un peu le tourbillon de la vie passée à l’essoreuse télé, on enfile ainsi les perles, glanées au séminaire McKee d’écriture de script que tout le département artistique des filiales télé est allé suivre. Trois temps du récit, un problème, une résolution, une intrigue secondaire (non là, ils ont un peu oublié) et trente exemplaires à faire photocopier par un stagiaire.

 

Si le film se précipite vers sa conclusion, c’est qu’il n’a au fond qu’un seul projet : renvoyer ses comédiens vers les plateaux télé où il est allé les chercher. Dans ce registre, Max est un objet fascinant, le précipité pur de ce qui arrive au cinéma populaire en France. On n’y produit plus de films, ni même des téléfilms (on conseille de regarder les fictions allemandes qui passent parfois sur M6 l’après-midi : elles sont infiniment supérieures), mais seulement des argumentaires pour plateaux télé. Vingt ans de financement du cinéma par la télévison ont ainsi abouti à inverser le mécanisme de publicité. Ce ne sont plus les émissions qui annoncent les films, mais les films qui promeuvent les émissions. Le cinéma populaire en France est mort. A l’heure où l’on s’interroge sur son financement, on ne peut que constater que l’oracle Godard s’est trompé. Désormais, dans ce pays, quand on lève la tête, c’est encore de la télévision qu’on voit. Et probablement ce qu’elle fait de pire.