Certains se rappellent sans doute l’inoubliable scène de La Cage aux folles au cours de laquelle Michel « Zaza » Serrault, sommé par son compagnon d’être « présentable » à un dîner de famille, essaye désespérément de faire viril… La biscotte, le costume de plombier, rien n’y fait. Zaza ne peut cacher sa véritable nature de follasse et finit par ressembler à une créature étrange, hybride, pathétique, mais touchante de bonne volonté.

Pourquoi évoquer ce grand classique de la comédie franchouille seventies ? Tout simplement parce qu’il n’y a pas mieux comme analogie pour introduire Sudeki, action-RPG à la japonaise, développé par le studio 100% briton de Climax. Une commande de Microsoft, probablement, pour donner à sa Xbox, machine un rien plombée par une réputation persistante de PC bridé, un jeu purement consoleux -comprendre « nippon ». Oh, l’idée casse-gueule que voilà, une pente raide sur laquelle il conviendrait d’avancer prudemment, sans précipitations, en prenant toutes les précautions d’usage pour éviter toute faute de goût, toute reprise maladroite des clichés du genre. Climax a manifestement pris le projet à bras le corps, sans complexe, courant droit dans le mur avec un bandeau sur les yeux. Faire un RPG jap’ ? Rien de plus simple :

– imaginer un univers coloré à mi-chemin entre le médiéval-fantastique et le steampunk ; ne pas lésiner sur les couleurs, SURTOUT. Les plus baveuses et criardes possibles… ça fait japonais ;
– créer des personnages à la personnalité bien tranchée, un héros coiffé en brosse souffrant d’un grave traumatisme familial : papa, maman, grand-frère, ou mieux, la famille toute entière, massacrés par le vilain de service ; un intello, facile à repérer -il porte des lunettes ; une petite nunuche bien roulée, douée pour la magie ; une pétasse à moitié à poil, une grosse part d’animalité, aptitudes sérieuses pour le combat bien brutal. SURTOUT ne pas lésiner sur la taille des nichons… ça fait japonais ;
– pondre une intrigue suffisamment simpliste pour amener, un peu avant la fin, un plot-twist que n’importe quel joueur ayant dépassé 12 ans aura déjà deviné dès les premières heures de jeu ; introduire une histoire de quête quelconque… de cristaux magiques, par exemple… ça fait japonais ;
– ne pas essayer de jauger la production récente de RPGs jap’, le système de recyclage de clichés pourrait tomber à l’eau face au réel, il faudrait tout recommencer, remplacer les couleurs criardes par des teintes pastelles, les personnages sexy par des ados maniaco-dépressifs, le scénario bêta par une grande fresque mystico-philosophico-foutraque prétendant vous donner, en exclusivité, le véritable sens de la Vie.

Vue sous cet angle, l’entreprise est mal barrée : dix ans de retard sur les récurrences qui traversent la quasi-totalité des RPGs japonais, et un savoir-faire inexistant. Ca s’annonce mal pour Sudeki. De fait, le jeu de Climax ne ressemble en rien à un jeu japonais, malgré ses efforts, son concept kamikaze se brise en mille morceaux dès le début, comme une biscotte maintenue par des doigts trop fermes. Le character-design, atroce, ressemble à ce que le fan-art peut produire de pire. Les mécaniques de jeu sont sous-exploitées. Le scénario est à l’avenant. Pourtant, on ne parvient pas à détester Sudeki. Est-ce un mauvais jeu ? Non. A force de vouloir contraindre sa nature, il parvient même, contre toute attente, à présenter quelque intérêt au joueur blasé : japonais-wannabe sur la forme, et inconsciemment occidental sur le fond, le RPG de Climax produit un effet relativement inédit de fusion vidéoludique hors-normes. Un système de gestion des quêtes hérité de KOTOR, un gameplay scindé lors des combats : l’un classique, caractérisé par une représentation à la troisième personne et des affrontements au corps-à-corps à base de combos ; l’autre, plus étonnant, reposant sur un mode de vision subjective et une maniabilité typée FPS.

Une main dans le slip, l’autre sur le pad, Sudeki se joue légèrement, sans réelle implication, genre balade touristique bucolique jusqu’à ce que le jeu perde son atmosphère guillerette en tombant dans le piège du monde parallèle ténébreux. Vite oublié, Sudeki s’affranchit de ses viles origines marketing, et finit par inspirer de la bienveillance, à force de s’affirmer, en vain, comme quelque chose qu’il ne sera jamais.