Simple constat dans le rapport homme-machine : un an, pour un joueur, c’est rien. Une ou deux oeuvres marquantes et une dizaine de bons jeux. Pour un accessoire console, par contre, un an c’est toute une vie. De la naissance à la maison de retraite en passant par une hypothétique acmé. Sauf nouveau succès, l’accessoire console se meurt dans un placard ou sur une étagère, toujours dans la poussière. L »EyeToy de Sony était le Goncourt un peu vain de l’année dernière. Parasite mondain du meuble télé, on l’a plus aimé pour ce qu’il représentait (une perspective de jeu futuriste) que pour ce qu’il écrivait (une série de mini jeux réacs et dénués d’imagination). Ce talent mort-né, à peine maintenu en vie par l’intermédiaire de quelques add-on placebo (Groove, Chat, Sports…), attendait sa mort sans gloire à l’hospice des machines dépassées. L’EyeToy ? Un succès sans véritable reconnaissance.

C’est à ce moment bien précis que Sega, gameplay-doctor désormais dégradé et sans cabinet fixe, vient à son chevet. Sega, lui, a connu la reconnaissance. Et plus rarement le succès. Le doc’, loser flamboyant, et le jeune premier à l’agonie ont quelque chose à faire ensemble. Quelque chose comme réécrire My way. Et légitimer, une fois pour toutes, le court passage sur console (autant dire sur Terre) de l’ »oeil-torve ». Problème : issu d’une famille de gameplay nouveau riche, l’EyeToy n’a pas d’histoire. Qu’importe. Le doc’ (il y a longtemps qu’on ne l’appelle plus maître) dispose de tout l’héritage culturel d’une famille de longue lignée. Une joyeuse bande tzigane et bigarrée (House of the dead, Billy Hatcher, Super monkey ball… ), d’irrascibles artistocrates (Virtua fighter, Sonic, Nights…), des paumés stellaires (Space channel 5, Samba de amigo…). Ensemble, ils réécrivent ce qu’aurait dû être l’acte de naissance de l’EyeToy, son opus majeur. L’EyeToy : Play devient SEGA SuperStars. Et à l’image de cette étrange union, le simple défouloir physique prend des allures de musée à la mesure de ce que les gamers militants attendent encore au Parc de la Villette. Une borne interactive célébrant gloires perdues et héros immortels. Une visite corporelle et non fléchée, du gameplay made in Sega. Cette abstraction synonyme de fun immédiat, arcade, et de la marge de progression, vieille notion quelques peu délaissée. Voler, rouler, attaquer, tenir le rythme, le tout dans un emballage sophistiqué et chatoyant, une esthétique jamais désavouée. Bien sûr, on se demande où sont passés Rez et Shenmue, ces oncles d’Amérique au destin fascinant. Le bon docteur Sega a-t-il la mémoire sélective ? Ce n’est pas là son seul forfait.

A mieux y regarder, si l’EyeToy gagne là son meilleur jeu, Sega s’offre ici une revanche paternaliste, sur une famille Sony qui l’a pour ainsi dire obligé à fermer son cabinet. Une leçon de gameplay vacharde sur le terrain de la technologie gadget, autant qu’une dernière photo de famille pour ses beautiful freaks qui ne connaîtront jamais l’aube des machines next-gen.